La journaliste, réalisatrice et écrivaine, Abnousse Shalmani explore le lien entre l'intime et le politique dans son livre "J'ai pêché, pêché dans le plaisir". L'ouvrage met à l'honneur deux femmes poètes qui défient les conventions de leurs époques et se retrouvent autour d'un point commun : assumer leur désir en même temps que leur quête de liberté. D'un côté, Forough Farrokhzad qui vit en Iran dans les années 1950 et de l'autre Marie de Régnier, muse maîtresse du poète Pierre Louÿs au temps de la Belle Epoque. Ces deux femmes, dans leurs vies respectives, ont trouvé la liberté dans l'amour du point de vue de la chair. Un combat toujours d'actualité aujourd'hui, dans une époque marquée par "le retour d'un discours puritain", selon Abnousse Shalmani, qui ne conçoit pas la liberté de penser sans la liberté du corps et va même plus loin en abordant la liberté sexuelle des femmes et leur rapport au plaisir. Un exemple parlant entre liberté du corps et liberté de penser, et qui donne espoir, est le droit d'avortement, sacré quelques jours plus tôt dans la Constitution française.
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Je plante mes mains dans le jardin
Et je sais, je sais, je sais, je vais verdir
Et dans mes paumes violacées d'encre
Les hirondelles vont venir pondre
J'accroche deux boucles de cerises rouges à mes oreilles
Je colle des pétales de dahlia sur mes ongles
Il existe une rue
Où des garçons les cheveux en bataille
Le cou mince et les jambes maigres
Étaient amoureux de moi
Et pensent encore aux sourires innocents d'une feuille
Qu'une nuit le vent a emporté
Il existe une rue que mon cœur a volé
Aux quartiers de mon enfance
Forme en voyage sur la ligne du temps
Avec une forme féconder la ligne sèche du temps
La forme d'une image en conscience
Qui revient de la fête du miroir
Et c'est comme ça
Que quelqu'un meurt
Et quelqu'un reste
Aucun pêcheur ne trouvera de perle dans un pauvre ruisseau
Coulant au creux d'un fossé
Moi
Je connais une petite fée triste
Qui habite un océan
Et qui souffle son cœur dans une flûte en roseau
Si doucement, doucement
Une petite fée triste
qui la nuit meurt d'un baiser
Et d'un baiser au matin renaîtra
Extrait de Seule la voix demeure, © Coédition L'Oreille du loup, Universitad Autonoma de Sinaloa, 2011
Merci à Mathias Enard et son beau livre Boussole qui m'a offert, entre beaucoup d'autres, la joie de découvrir Forough Farrokhzad
Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car j'ai dans le cœur une histoire irracontée
Délivre mes pieds de ces fers qui les retiennent
Car cette passion m'a bouleversée
Viens, homme, viens, égoïste
Viens ouvrir les portes de la cage
Toute une vie, tu m'as voulue en prison
Dans le souffle de cet instant, enfin, délivre-moi
Je suis l'oiseau, cet oiseau qui depuis longtemps
Songe à prendre son envol
Mon chant s'est fait plainte dans ma poitrine serrée
Et dans les désirs, ma vie a reflué
Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car il me faut dire mes secrets
Et que je fasse entendre au monde entier
Le crépitement enflammé de mes chants
Viens, ouvre la porte, que je m'envole
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laisses m'envoler
Je me ferai rose à la roseraie du poème
Mes lèvres sucrées par tes baisers
Mon corps parfumé à ton corps
Mon regard avec ses étincelles cachées
Mon cœur plaintif, par toi rougi
Mais ô homme, homme égoïste
Ne dis pas c'est une honte, que mon poème est honteux
Pour ceux dont le cœur est enfiévré, le sais-tu,
L'espace de cette cage est étroite, si étroite ?
Ne dis pas que mon poème était péché tout entier
De cette honte, de ce péché, laisse-moi ma part
Je te laisse le paradis, ses houris et ses sources
Toi, laisse-moi un abri au cœur de l'enfer
Livre, intimité, poème, silence
Voilà pour moi, les sources de l'ivresse
Qu'importe de n'avoir pas voie au paradis
Puisqu'en mon cœur est un paradis éternel !
Lorsque dans la nuit, la lune danse en silence
Dans le ciel confus et éteint
Toi, tu dors et moi, ivre de désirs inassouvis
Je prends contre moi le corps du clair de lune
La brise m'a déjà pris des milliers de baisers
Et j'ai mille fois embrassé le soleil
Dans cette prison dont tu étais le geôlier
Une nuit, au profond de mon être un baiser me fit vaciller
Rejette loin de toi l'illusion de l'honneur, homme
Car ma honte m'est jouissance ivre
Et je sais que Dieu me pardonnera
Car il a donné au poète un cœur fou
Viens, ouvre la porte, que je déploie mes ailes
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laissais m'envoler
Je me ferais rose à la roseraie du poème
Révolte - Forough Farrokhzad
In Côté femmes d'un poème l'autre, © Espace-libre, 2010
Une nuit… p 111-112
Une nuit, de l’au-delà des ténèbres
comme une étoile je viendrai vers toi.
Sur les ailes du vent coureur du monde,
Je viendrai te chercher avec joie.
Comblée de tendresse et d’ivresse,
comme un beau jour d’été, je t’offrirai une jupe
pleine de tulipes sauvages de la montagne.
Une nuit, je frapperai à ta porte,
ton coeur tremblera dans ta poitrine.
La porte s’ouvrira et mon corps
impatient glissera dans tes bras chauds.
Dans ces instants d’ivresse,
tu ne verras plus mon regard enfantin
se disputant avec la pudeur.
Une nuit, si tu appelles mon nom,
je t’inviterai au pays des rêves.
Je danserai comme les sirènes
sur les vagues de ton souvenir.
Une nuit, mes lèvres assoiffées se brûleront
avec joie dans le feu de tes lèvres.
Mes yeux fixeront leur espoir
sur la destination de ton regard.
une nuit, de Vénus, la déesse charmeuse,
j’apprendrai les jeux de l’amour.
Comme une lumière née du ventre des ténèbres,
j’allumerai un feu auprès de toi.
Ô toi, les yeux rivés sur le chemin !
C’est moi qui viendrai vers toi,
Sur les ailes du vent coureur du monde,
je viendrai te chercher avec joie.
Ahwaz, printemps 1955
"J'ai péché un péché lourd de plaisir
dans une étreinte ardente incandescente
j'ai péché dans des bras
d'acier brûlant et triomphant
(...)
Le désir comme une flamme a brillé dans ses yeux
le vin rubis a dansé dans la coupe
Dans la douceur du lit
mon corps ivre a frémit contre sa poitrine"
(..)
La vie,
C’est peut-être une longue rue où passe,
Chaque jour,
Une femme avec un panier
La vie,
C’est peut-être une corde
Avec laquelle un homme se pend
A une branche
La vie,
C’est peut-être un enfant
Qui rentre de l’école.
La vie,
C’est peut-être entre deux étreintes,
Dans l’engourdissement de l’heure,
Allumer une cigarette
Ou la silhouette confuse d’un passant
Qui, ôtant son chapeau avec un sourire banal,
Dit à un autre
bonjour.
La vie,
C’est peut-être
Le moment sans issue
Où mon regard se fond
Dans la prunelle de tes yeux.
(...)
(Extrait du poème "Une autre naissance")
LA VAGUE
Tu es à mes yeux
comme une vague,
rugissante, rebelle et impatiente.
Le vent de mille souhaits séduisants
te conduit dans tous les sens
à tout instant.
Tu es une vague.
Tu es une vague
et la mer d'envies ton habitat.
Les horizons colorés et troubles de demain
dépeignent le regard brumeux de tes yeux.
Tu es toujours en révolte contre toi.
Tu ne connais jamais le repos.
Tu te fuis constamment.
Que se passerait-il, mon Dieu,
si j'étais une rive lointaine ?
Si une nuit les bras ouverts,
je te saisissais,
je te saisissais !
La nuit glissait derrière les carreaux
Et absorbait de sa langue froide
Le restant du jour évanoui
Je viens d’où ?
Je viens d’où pour être si embaumée
du parfum de la nuit ?
La terre de sa tombe est encore fraîche
Je parle de ces deux mains jeunes et vertes...
Que tu étais tendre, ô ami, unique ami
Que tu étais tendre quand tu mentais
Que tu étais tendre quand tu fermais
les paupières des miroirs
quand tu coupais les lustres des branches argentées
quand tu m’emmenais dans les ténèbres cruelles
vers les pâturages de l’amour
jusqu’à l’effluve chancelante
qui suivait l’incendie de la soif
et qui s’apaisait sur la pelouse du sommeil. p 33
Merci à Mathias Enard et son beau livre Boussole qui m'a offert, entre beaucoup d'autres, la joie de découvrir Forough Farrokhzad
Les présents
Je parle du fond de la nuit
Du fond des ténèbres
Je parle du fond de la nuit
Si tu viens en ma maison, mon doux ami, apporte-moi une lampe
Et une fenêtre
Par laquelle regarder l’heureuse agitation de la rue
Je parle du fond de la nuit
Je parle du fond de l’obscurité
Et je parle du fond de la nuit
Si tu viens chez moi, mon amour,
Apporte-moi la lumière et une lucarne
Pour que je regarde
La foule de la
ruelle heureuse.
(Cadeau)
[...]
Je l'aime...
comme une graine aime la lumière
comme un champ aime le vent
comme un bateau aime la vague
comme un oiseau aime l'envol
Je l'aime...
Lassée, je regarde à travers mes paupières entrouvertes :
si seulement avec ce silence-là
et avec cette sincérité-là,
tu fondais en poussière dans mes bras,
avec ce silence-là.
(extrait de "Avec quelle main ?") p.130