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Critique de berni_29


Je ne sais toujours dire pourquoi les forêts suscitent en moi autant de fascination et de vertiges. Que m'ont-elles fait ou que ne m'ont-elles pas fait encore ? Quand j'entre dans une forêt, j'attends toujours de manière presque inavouable et inespérée le déclic, la porte qui s'ouvrira vers un envers du décor enchanteresse, me délivrant à jamais du poids inextricable de la tristesse du jour et des malheurs du monde.
Les forêts sont pour moi des lieux sacrés qui font côtoyer les vivants et les morts. Je crois entendre parmi la respiration des ramures, d'autres voix qui me tendent la main.
J'imagine parfois des arbres se parler, chuchoter, s'effleurer dans le froissement du vent. Sous le secret des feuilles, il y a des territoires qui palpitent...
Je les devine citadelles imprenables, où j'aime laisser vagabonder mes anomalies et mes illusions, je sais qu'ici rien ne peut venir les perturber.
Mais aujourd'hui les forêts ont mal, pleurent, agonisent... Il faut prendre soin d'elles...
Au travers d'une fresque ample à la fois sociale et intime, Les derniers géants est un roman qui dit cela en quelque sorte et c'est peut-être pour cette raison qu'il m'a touché.
J'ai ressenti un coup de coeur pour ce récit qui m'a entraîné dans les grands espaces forestiers en Californie du nord. Nous voici plongés là-bas dans la fin des années soixante-dix.
Nous découvrons une communauté de bûcherons, d'élagueurs, affairés du matin au soir dans leurs tâches éprouvantes et souvent dangereuses. Leur territoire est dominé par ces géants plusieurs fois centenaires, des séquoias dont l'exploitation à destination de l'industrie du bois d'oeuvre fait vivre ici de nombreuses familles, depuis plusieurs générations. Ici on est bûcheron de père en fils, et fier de l'être.
Du matin au soir, c'est le bruit incessant des tronçonneuses comme le vrombissement des abeilles besogneuses, celui des haches aussi, des coups portés dans le coeur de la forêt ; parfois les cris des hommes précèdent un long bruit venu du fond des entrailles de la terre et qui accompagne cet arbre qui s'effondre à jamais au pied des siens...
Dans ces pages, viennent l'odeur de la forêt, l'odeur de la sciure, l'odeur de la sueur des hommes qui ne ménagent pas leur peine. Mais il y a aussi cette odeur âcre dans l'air, cette odeur qui flotte sournoisement pour se répandre jusque dans le cours des ruisseaux...
La jeune autrice californienne, Ash Davidson, dont c'est ici le premier roman, m'a pris la main pour me faire venir à la rencontre des personnages rudes et attachants de cette communauté. Parmi celle-ci il y a ce jeune couple, Collen et Rich Gundersen. Ils vivent là avec leur jeune fils Chub qu'ils appellent affectueusement Grahamcracker. Il y a aussi leur chien Scout. Peu à peu le drame social sous-jacent va s'entrelacer avec l'histoire intime de ce couple. Collen voudrait avoir un autre enfant, sa récente fausse-couche l'a jetée dans un profond désarroi.
Les grands parcs continuent d'étendre leurs territoires pour protéger la nature tandis que les écologistes affrontent depuis quelques temps les lobbyings puissants et les entreprises forestières, dans l'espoir de sauver les derniers séquoias, certains de ces arbres sont presque millénaires... Mais la menace ne pèse pas seulement sur les arbres, elle pèse aussi sur l'ensemble de l'écosystème, la faune, la flore, les saumons, l'eau, les femmes, les hommes, en raison des épandages intensifs d'herbicides pour rendre les routes plus accessibles et faciliter le déplacement des grumes de sequoias vers le fond de la vallée. La recherche de productivité se gagne sur tous les fronts...
C'est un monde à l'agonie que les arbres ont la pudeur de cacher.
Mais ici le texte empli de justesse et de retenue, n'oppose pas les « gentils » écolos aux « méchants » bûcherons. Avec habilité, l'autrice évite les pièges du manichéisme, car ces travailleurs forestiers sont eux-mêmes victimes des compagnies qui les exploitent, assoiffées de pouvoir et d'argent n'hésitant pas à déployer tous les lobbyings possibles auprès des figures politiques locales pour parvenir à leur fin...
Rich voudrait offrir une autre existence à sa famille, car travailler dans les conditions sociales proposées, ce n'est plus vivre, c'est survivre. Rich décide alors d'investir toutes leurs économies dans un projet ambitieux et se garde de l'évoquer à son épouse pour ne pas la tracasser...
Collen est sage-femme. Voir naître d'autres enfants parfois lui fait mal au coeur, mais voir naître d'autres enfants avec des malformations devient brusquement inacceptables. Et puis il y a aussi toutes ces fausses-couches qu'on ne peut plus attribuer au seul hasard, à la faute à pas de chance. Un jour elle aide à accoucher une jeune mère qui met au monde un enfant sans cerveau...
Et si ces herbicides qu'ils balancent depuis leurs hélicoptères dans des nuées de plus en plus immenses et frénétiques, étaient nocifs pour l'eau, les enfants à naître, la vie tout simplement... ? C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase et dresse désormais Colleen dans une révolte viscérale...
D'autres camps vont alors s'affronter au sein même de cette communauté jusqu'ici solidaire soudée comme au travers d'un pacte ancestral tacite, au sein même des couples qu'on croyait solides comme des sequoias.
La déflagration des arbres qui tombent au milieu des forêts se répercutent dans le coeur des personnages de ce livre.
C'est un roman bouleversant, puissant, tellurique.
C'est une lutte sans merci dont personne ne sortira indemne.
Ce récit haletant, à la narration très bien menée, m'a touché autant par le contexte écologique qu'il convoque que par la trame douloureuse des personnages dont certains me sont devenus subitement proches comme si nous appartenions à la même famille. Ce roman m'a emporté jusqu'à la fin de l'histoire. Un coup de coeur parmi les coups de hache !
C'est aussi le tout récent coup de coeur de ma librairie préférée qui m'a fait découvrir ce livre...
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