AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de isanne


Si vous n'appréciez pas trop les recueils de nouvelles, faites une exception, ouvrez celui-ci, l'émotion qui va s'envoler de ces pages va vous laisser transi, immobile, muet...

Erri de Luca, dans ces nouvelles, se livre, se dit, se dévoile... mais toujours avec une assurance fragile, avec pudeur, avec discrétion. Au lecteur de nouer les phrases, de tisser les mots entre eux pour faire vivre cet homme qui s'est construit, qui a librement et en toute conscience choisi sa vie, loin de la destinée et des facilités dont il disposait.


S'il parle des moments de l'enfance, il convoque les emmurés, les captifs des geôles d'un autre temps, ceux dont la vie était accrochée à un anneau de fer serti dans la roche, ceux rendus immobiles par la condamnation, rivés à un lieu, ceux dont les pensées s'enfermaient peu à peu parce que quand le corps est entravé, l'esprit se recroqueville et s'amenuise, quand la promiscuité tient lieu de vie, l'esprit s'oublie et oublie l'ailleurs, un autre sol à fouler.

S'il évoque des parties de pêche dans lesquelles les senteurs et parfums écrivent le récit davantage que les poissons attrapés, il fait surgir de l'ombre, du silence où il se tient, cet homme sans voix, cette silhouette fragile, celui dont le bras est marqué d'un matricule, celui qui a tout vu de la cruauté humaine, celui qui a survécu et qui tente de survivre encore en oubliant les mots parce qu'ils diraient si peu...

S'il parle de la montagne, c'est comme d'un amour tumultueux, il y foule les sommets avec bonheur mais l'escalade l'a obligé à puiser au fond de lui-même force et obstination, courage et volonté pour vaincre ces parois qui se dressent comme autant d'obstacles que la vie peut en posséder, une paroi qui se dresse comme une volonté à tordre, comme une idée à faire plus forte, comme une conviction à vaincre pour la faire sienne.

S'il parle de ses engagements, de ses idées, il fait sourdre la révolte. Elle est là, tapie dans la page, mais la dignité l'accompagne... En tout choix, il privilégie le respect de l'autre, de l'opprimé, de celui qu'on veut faire taire... le petit, celui que l'on n'entend que si on lui prête attention, l'invisible, celui dont il faut crier fort le nom pour le faire exister aux yeux des autres, de ceux à qui il ne manque rien.

S'il parle de l'ailleurs, c'est pour mieux en décrire le déchirement, pour celui qui quitte, pour ceux qui restent. Un autre paysage, un autre monde, un autre pays, une autre culture mais l'espérance de la main tendue, de cette force qui se partage pour obliger la vie à palpiter encore et toujours, malgré l'éloignement, malgré la solitude. Une vie qu'il faut écrire autre pour la préserver coûte que coûte.


Il dit encore tant et tant de choses, se dévoilant tout doucement, visitant l'ombre de l'existence pour mieux en faire surgir la lueur, même si elle n'est que la flamme vacillante d'une bougie, encore est-elle là, existe-t-elle encore pour un peu, encore avons-nous obligation de la préserver, de la protéger.

On ralentit la lecture, on espace les retrouvailles avec cette écriture, il faut faire perdurer le moment, il faut en ressentir toute la valeur, il faut effleurer les mots avec l'âme, il faut les laisser nous caresser pour que la clarté s'en échappe, pour que le frôlement se fasse message, pour que l'air se charge de certitudes, pour que les phrases se fassent amarres, pour que le respect naisse de ces mots lus.
Alors on refermera le recueil ... pour un temps seulement, parce qu'il est devenu un besoin, une nécessité, pour avancer dans ce monde dont il est le reflet intemporel, pour être le compagnon, l'ami nécessaire dans la noirceur de ces temps qui sont nôtres, pour faire vibrer encore l'espoir d'un meilleur, pour être finalement, ce guide et cette main qui se tend entre les hommes que j'espère si souvent.

Un monde plus juste entre les hommes peut s'écrire, comme une plus grande attention à la terre qui nous porte et Erri de Luca s'en fait le messager avec une écriture empreinte de poésie qu'on peine à quitter.
Commenter  J’apprécie          6813



Ont apprécié cette critique (59)voir plus




{* *}