De toute façon la journée se termina bien : le coucher de soleil rougissait la vigne, la cuve et les saules scintillaient; les étendues de la plaine avaient le calme et la poésie mélancolique de la steppe, ainsi que Cosima l'avait entrevue dans quelques nouvelles russes : mais le point central du paysage, le plus beau, était le pin solitaire dans lequel vibraient les flammes du soleil qui semblait s'y nicher comme un grand oiseau pourpre.
Elle rougit, mais ne prononça pas un mot : d'ailleurs elle n'avait jamais ouvert la bouche pendant toute la durée du banquet, elle ressemblait à une étrangère sur sa selle recouverte de la vieille étoffe de la besace, avec ses grands yeux silencieux, verts du vert foncé de l'ombre du bois ; une des petites fées ambigues, dont on ne sait si elles sont gentilles ou méchantes, qui peuplent les grottes du mont et qui depuis des millénaires y tissent, avec leur métier à tisser en or, des filets pour emprisonner les faucons, les vents, les nuages, les rêves des hommes.
Cosima essaie de réagir ; au fond elle n'est pas romantique et, en raison de nombreuses épreuves cruelles, elle connaît déjà la vie ; mais la monotonie des jours sans espoir de changement notable l'accablait comme une condamnation injuste, - ancienne condamnation des femmes de son origine, - et toute sa personne brûlait du désir de prendre son envol vers des horizons plus vastes, vers une vie plus mouvementée.