Montvert-les-Bains

Probité n'a pas le même sens pour nous que pour un homme d'affaires américain. On admire la réussite et la fortune acquise, sans s'interroger sur les moyens dont on a usé pour les acquérir. On a le culte du parvenu, et l'honorabilité d'un citoyen se mesure au montant de ses revenus. On ne dit pas de quelqu'un : « C'est un homme intelligent, un citoyen cultivé, un industriel habile » ; on dit : « Il pèse cent mille dollars ou dix mille dollars. » Le dollar n'est pas qu'une monnaie, c'est l'unité de mesure, non seulement sociale, mais humaine.

La mentalité américaine est différente de la nôtre. Il n'y a aucun lien entre les gens du peuple et les gens éduqués ou riches, ce qui ne va pas toujours de pair. Seules des rencontres, sur le terrain des affaires, mettent en relation éphémère des personnes issues de classes sociales différentes. Quant aux Noirs, malgré la victoire de 1865 du Nord sur le Sud et l'abolition de l'esclavage, ils sont encore tenus à l'écart et traités par les Blancs, même les plus modestes, comme des intouchables, corvéables à merci.

L'amour, c'est avant tout la primitive obéissance au désir, et aucune passion ne résiste à trois ans de mariage. Le seul amour durable est celui qui n'est pas consommé et ce peut être une torture.

Elles estimaient maniérées les demoiselles des villes et se tenaient un peu à l'écart, pour échanger des remarques en usant du patois. Elles avaient le teint hâlé de celles qui vivent en plein air et ne se cachent pas du soleil sous une ombrelle. La plupart d'entre elles paraissaient à l'aise dans des robes de barège ou de percale à motifs floraux, qu'elles portaient au bal de la fête paroissiale, alors que leurs compagnes, filles de familles plus aisées, de commerçants ou de notables ruraux, arboraient des toilettes copiées dans les gazettes de mode par les couturières du cru. La réussite n'était pas toujours au rendez-vous et ces ajustements importés rendaient ces jeunes personnes, habituellement gracieuses et alertes dans leur simplicité pleine de fraîcheur sensuelle, gauches et trop attentives à des atours qui ressemblaient à des déguisements.

Elles ont été élevées au porridge et au lait condensé, ce qui leur donne des joues pleines, un teint de porcelaine rosée, un bustier bien rempli, des fesses qui appellent la caresse et une propension au flirt poussé mais codifié. Un étranger peut, évidemment, ignorer le code et brûler les étapes avec les moins vertueuses.

Quelques jours plus tard, une lettre d’Oncle Martial le rassura : Chacun, dans la vie, doit se sentir à sa place, sans bassesse ni hauteur, sans humilité ni orgueil. Il existe une hiérarchie acceptable dans les conditions sociales mais il n'y a pas de hiérarchie dans la condition humaine. Notre société est une construction faite de pierres de tailles différentes, mais toutes sont indispensables à la solidité de l’édifice. Plus qu’avec une fille de la bourgeoisie, conduis-toi en gentilhomme avec ta petite fleuriste. Évite de l’éblouir, sois simple, amical, j’allais écrire fraternel, et n’en fais pas ta maîtresse, même si elle en a envie. Ne joue pas les pygmalions. Rien n'est aussi trivial que le nanti qui couche avec la petite ouvrière.

Quand on veut se séparer d'une femme, il faut saisir l'occasion qu'elle vous offre de vous esbigner, ce qui lui laisse, sinon la responsabilité, du moins l'honneur de la rupture.

Coucher avec une veuve, c'est succéder au locataire d'un appartement meublé.

Je vieillis mais je reste sensible à l'attraction féminine, et le verbe est intact.

Ce sont les fantômes qui ont peur des humains. C'est pourquoi ils ne sortent que la nuit, quand nous dormons.