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Critique de audelagandre


Été 1976, Benjamin et Julien, jumeaux partent avec leur mère, solaire, en vacances en Italie. Un inconnu aux desseins machiavéliques rôde, et essaie de faire son choix : enlèvera-t-il Benjamin ou Julien ? « Écrasé par des années de saccage », le roman s'ouvre sur les paroles de Julien, l'enfant resté près de sa mère, celui qui n'a pas vécu pour autant, celui qui a manqué d'air. « L'irréparable est une tache noire sur nos vies, tu auras beau frotter tu ne l'effaceras pas. » Un procès. Au banc des accusés, le kidnappeur brille par son absence, c'est la victime, Benjamin qui raconte… des années de sévices, ses actions dictées par son ravisseur, sa fuite, sa vie d'après.

« Unpur » fait partie de la rentrée littéraire 2019, catégorie littérature blanche. Ne vous y méprenez pas, c'est l'un de romans les plus noirs qui m'ait été donné de lire. Vous n'y trouverez pas de scènes de violences explicites comme dans « Dompteur d'anges » de Claire Favan qui aborde des thématiques similaires, nous y trouverez tout ce qui n'est pas dit avec des mots, l'implicite, tout ce que votre esprit va pouvoir imaginer sans l'avoir lu, tout ce que vous allez deviner entre les lignes.

Sur arrière-plan de bonheur à trois, profond, doux, lumineux, plane l'ombre du mal. le contraste entre la mère, « changeante, inattendue, mère agitée par temps calme », et le Gargouilleur, « l'ogre, le loup, le féroce, le cruel, un bloc de mal », le lecteur passe sans cesse du coeur qui exulte face à ce bonheur parfait, aux martyres du coeur d'un enfant qui souffre. le récit alterne la vie d'avant, les cinq années de rapt, et la vie d'après, le procès. Il n'est pas toujours aisé de suivre la pensée de l'auteur, mais les évènements, comme un tourbillon, se mélangent et se confondent entre barbarie, félicité et regrets, comme les pensées de Benjamin, comme s'il n'avait pas assez de temps pour tout dire et que ses pensées allaient plus vite que sa diction.

C'est un roman court : je ne rentrerais pas dans le détail de l'histoire. Je veux simplement vous parler du style d'Isabelle Desesquelles, de son écriture qui m'a totalement désarçonnée, soufflant la douceur idyllique alors qu'une énorme baffe m'attendait à la page suivante. Son style est extrêmement poétique, et même poétiquement dérangeant dans l'obscénité crue de certaines scènes. Elle ne décrit pas, elle « féeérise » stylistiquement une monstruosité par l'emploi de mots sensés atténuer le propos parce qu'ils ont l'air plus innocents. C'est tout l'inverse qui se produit. Ces non-dits disent tout, révèlent tout et provoquent, ont provoqué chez moi en tout cas, des réactions physiques : révulsion, tachycardie, maux d'estomac. L'empathie suscitée pour cet enfant enlevé, évolue, se transforme, et passe de bienveillance à répulsion dans la seconde partie du roman. Des réactions épidermiques de haine naissent alors que notre esprit devrait analyser les choses d'un strict point de vue psychologique. C'est un roman qu'on lit avec ses tripes, bien avant de le disséquer avec son cerveau.

La thématique de l'enfance saccagée est omniprésente, toujours chapeautée par cette sempiternelle question : quel adulte devient-on lorsque l'enfance a été brisée ? La seconde partie répond progressivement à cette interrogation et je dois bien avouer que le récit m'a alors révulsée et a saccagé toutes les idées philosophiquement positives que je pouvais avoir sur une telle interrogation. Quand les circonstances atténuantes, les mauvaises pensées mélangées à la raison, l'empathie et la répulsion sont projetées ainsi toutes à la fois, parfois dans une même phrase, le lecteur ressort livide.

Je suis ressortie exsangue de cette lecture, avec cette horrible chanson dans la tête « Be Bop a Lula, she's my baby, be bop a Lula i don't mean maybe », et des images insoutenables devant les yeux, de voiture et de tableau de bord, ancrées pour longtemps dans mon esprit. L'association musique répétitive et sévices fonctionne admirablement bien, l'auteur vous fait le cadeau empoisonné de ne jamais vous permettre d'oublier son personnage UnPur.

Je ne sais pas vous dire si j'ai aimé ce roman. Je ne sais pas vous dire non plus si l'on peut aimer ce genre de roman. En revanche, je peux vous dire que l'écriture d'Isabelle Desesquelles est aussi envoûtante que répulsive. Sa façon de mettre de la poésie dans l'horreur m'a parfois terriblement torturée, ne sachant que faire des émotions, positives ou négatives qu'elle générait.

Ce roman est singulier. Ce roman va faire parler et secouer ses lecteurs. Ce roman va déclencher des choses que vous ne vous attendiez pas à trouver en littérature blanche. Il est bien plus difficile à encaisser que de nombreux récits de littérature noire. Vous voilà prévenus…

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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