Faut avouer que je ne suis pas très aimable. Avec mes parents c'est pas franchement la lune de miel. Ils me trouvent chiante. Absente. Décourageante. Je les trouve usés, anesthésiés, résignés.
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Ma famille est comme une chaise à laquelle il manquerait un pied depuis que Romain, mon frère, est parti à Lyon pour faire ses études. Ça fait un an. Et une absence de plus. Elles s’additionnent les absences. Elles remplissent un puits. J’imagine que plus on est vieux plus il est profond, le puits des absences. Ma mère vire au triste. L’absence de son fils préféré a creusé les sillons qui entourent sa bouche et elle a souvent une expression amère. On ne se parlait pas beaucoup, avec Romain. On ne se faisait pas de confidences. Pas besoin. On se devine l’un l’autre. Il lit en moi et moi en lui. Enfants, on a cavalé dans les hautes herbes, grimpé dans les arbres, sauté des rochers dans la mer glacée, fait des concours de ricochets, de crachats et de crottes de nez séchées. Pissé sur le paillasson du voisin et pété sur la flamme d’un briquet. Ça lie pour la vie. J’aimerais pouvoir aimer un garçon comme j’aime mon frère. Sans avoir peur de lui. Peur d’être pas assez belle, pas assez captivante pas assez mystérieuse. J’aimerais pouvoir être aimée par un garçon comme je le suis par mon frère. Être moi-même en toute confiance. Sans être jaugée, jugée et jetée comme une merde sans comprendre pourquoi. Mon frère me manque. Il me manque sans faire de bruit, sur la pointe des pieds.
Je te vois partout. Tout à l’heure dans la rue, de dos c’était Toi ce mec brun aux cheveux un peu trop longs en queue de rat sur le cou. Je me suis grouillée pour te rattraper, je devrais pas cavaler après Toi comme ça je sais, je peux pas m’en empêcher tu m’attires comme un aimant. J’avais envie de te choper par le bras mais quand je me suis approchée c’était un autre. Des autres Toi j’en vois plusieurs par jour. Il suffit d’un infime point commun. Ta façon de marcher nonchalante. Ta couleur de cheveux. Ton dos un peu voûté. Ton blouson à capuche. Tes pompes sans lacets. Un petit quelques chose qui me rappelle Toi et mon cour se met à battre n’importe comment. C’est n’importe quoi.
De Toi il restera quoi ?
Je me demande.
Du plaisir et des souffrances en morceaux, congelés dans un coin.
Un petit goût de torture douce-amère quand j'embrasserai un mec qui me fait de l'effet.
De la peur.
Il en faudra du courage, pour y retourner.
Il y a des images qui reviennent sans cesse. Des images indélébiles. C'est ton sourire qui me troublait le plus.
Plus j'essaie d'arrêter de t'aimer moins j'y arrive.
Je devrais te supprimer. Partout. Sur Facebook, pour commencer. Ces tortures quotidiennes quand une photo de Toi déboule sur ma page.
Parle ! Explique. Trop facile de faire le mort. Lâche ou sadique ou les deux : voilà ce que t'es.