Le Poulpe : Les pis rennais

Du sang. Il n’y en avait nulle trace à l’endroit où, selon les journaux, Puchol avait été assassiné. Aussi bien la pluie avait pu faire son œuvre. Gabriel inspecta cependant avec soin chaque centimètre carré de terrain. Il avait baissé sa casquette pour se protéger du soleil et dessinait lentement des cercles concentriques de plus en plus larges. Il fixait le sol à en avoir mal aux yeux. Il parvint ainsi aux limites de la ferme sans détecter la moindre trace suspecte.

Le ruisseau de Laspe longeait la ferme, dévalait la colline et allais se jeter dans le Lez. La ferme était constituée de deux bâtiments distincts, l’un rénové, l’autre en ruine, ainsi que d’une grange située au bord d’une ravine. Gabriel commença par faire le tour de la propriété. C’était rocailleux et le sol parsemé de feuilles mortes. Les bois, un peu plus haut, formaient comme une frontière avec la montagne proprement dite. Les arbres, sous le soleil, révélaient toutes les nuances de couleurs, allant du vert pâle au jaune soutenu, du jaune blafard au rouge sang…

Gabriel ne voulait pas être surpris sur le lieu du crime. Il gara la voiture sur la D4 à hauteur d’Estoéou, s’assura que personne ne l’observait, et se farcit le reste du chemin à pied. Il piqua une suée dans la montée et parvint à la ferme de Puchol au bout d’une heure. Il posa son sac à terre et reprit sa respiration, il fit aussi quelques étirements pour prévenir les courbatures.

- Que je sache, en outre, continua-t-il doucement, ça fait belle lurette qu’il n’y a plus d’ours dans l’Ariège…
- Qu’est-ce t’en sais ? On a bien revu des loups dans les Alpes, dans le Mercantour, c’est ça ? Et si c’est pas un ours, c’est quoi ?
Gabriel abandonna quelques pièces sur la table en formica, le prix de son double express plus un généreux pourboire. Il fit signe à Gérard d’approcher.
- Dis, Gérard, j’ai un service à te demander…

- J’ai un copain, intervint Charles, le vendeur de moquette, qui dit que si t’es attaqué par un ours, il faut lui attraper les couilles, et il lâche prise…
- Encore faut-il lui trouver les couilles, répondit lugubrement Gabriel.
- toi, t’as toutes tes chances, t’as le bras long, ironisa Gérard.
Gabriel ne releva pas.

- Il est mort de quoi, ton homme ?
- On l’a retrouvé déchiqueté à deux pas de sa porte, une paluche immense semble lui avoir écrabouillé la tête, il y avait de la cervelle sur deux mètres à la ronde, sa mère ne l’aurait pas reconnu, et ne le reconnaitra pas. Seul un ours à pu faire un truc pareil…
- Une sale bête, l’ours…
- Le hic, c’est que l’ours n’attaque pas l’homme, à moins que l’homme aille lui chercher les poux…
- Que tu crois, Gabriel !

Gérard soupira, s’il recevait une carte postale des Pyrénées dans les prochains jours, faudrait pas qu’il s’étonne. Il jouait à sa mauvaise tête mais au fond, ça le rassurait que Gabriel, d’une certaine façon, prenne le bon côté des choses.

Il se dirigea vers le troquet tel un chalutier en détresse vers une côte improbable.

Gabriel dégusta son café. Piquet de vigne en était à son quatrième rosé, sa maïs filtre ne produisait plus de fumée à la commissure de ses lèvres et il semblait somnoler. Gabriel pensa à ces vieux bourrins qui, hiver comme été, se gèlent les meules dans les prés.