"On n'a pas besoin d'être ennemis!" lança alors Rosetta à l'assemblée. Elle avait l'impression de s'adresser aux villageois d'Alcamo. Parce que c'était ça, la voie à suivre, et il ne pouvait y en avoir d'autre. Il fallait dire : "ça suffit, cesser de cultiver la haine, briser les barreaux des cages. "On est tous des crève-la-faim", poursuivit-elle, comme si elle concluait à haute voix son raisonnement personnel et mettait enfin des mots sur son émotion. Son coeur parlait. "Nous devrions nous entraider. Pas nous sauter à la gorge comme des chiens enragés !"
Des murmures parcouraient l'assistance. "Dios te bendiga, muchada", dit la vieille, les yeux emplis de larmes et les lèvres pleines de jaune d'oeuf. Rosetta lui sourit. Alors tête haute, la poule sous le bras, elle se fraya un chemin pour rentrer chez elle. Tano la talonnait. Ils n'avaient pas fait dix pas que des applaudissements s'élevèrent dans la foule.
- Alors maintenant, tu as compris qui tu es ? demanda Tano.
- Pas encore.
Tano secoua la tête, regarda Assunta et se frappa l'index contre la tempe.
- Celle-là, c'est vraiment une idiote.
Il le disait encore en se couchant.
- Les curés sont convaincus que l’amour fait marcher le monde. Des gens comme moi pensent que c’est la haine. En fait, la vérité, c’est que pour faire bouger le monde, il faut une combinaison d’amour et de haine. El Francès passe son temps à dire qu’il est lâche. Pourtant il déteste tellement Amos, et il est tellement reconnaissant envers ta Rosetta, qu’il est devenu courageux.
Ainsi, des femmes avaient commencé à employer des termes dangereux comme justice et liberté, des mots qui sonnaient très bien dans la bouche des hommes, mais pas dans celle des femmes. Car chez elles, ces mots pouvaient en sous-entendre un autre, bien plus scandaleux, qui était égalité.
Les soldats le savent bien : parfois on tue, parfois on est tué. La vie, c'est la guerre.
Je veux devenir un être humain et rien d’autre.
- Tu es une fille, lui dit-il alors avec douceur, et c'est ....
merveilleux !
- C'est pas vrai.
- Si c'est vrai. Tu crois qu'un garçon aurait pu écrire comme toi ? Il la regarda avec intensité. Aucun garçon n'aurait été capable de faire ce que tu as fait.
- Quand même ...
- Quand même, tu ne peux pas faire les trucs que font les mecs. D'accord, j'ai compris, coupa Rocco. ça t'intéresse de pisser contre les murs ? ça m'étonnerait. De toute façon, tu n'y arriveras jamais. Alors qu'est ce qui t'intéresse tellement, chez les mecs ?
- La liberté de pouvoir choisir, répondit-elle sans hésiter.
- Bien. Alors bats-toi pour ça et parles-en dans tes putains d'articles.
- Ce ne sont pas des putains d'articles, protesta Raquel.
- Mais si ma belle ..enfin mon beau ! Ce sont des putains d'articles qui ont des couilles !
- Tu vois ? Quand vous voulez dire un truc important, vous pensez toujours à votre bite ou à vos couilles !
Rocco la regarda.
- Putain, tu as raison ... Tu as totalement raison. Il hocha lentement la tête : D'accord...moi, je ne sais pas parler aussi bien que toi, mais...apprends-nous à penser différemment.
- Je ne suis qu'une fille...
- Non, toi tu as des couilles, enfin je veux dire...tu es une fille à part, et ça, ne l'oublie jamais ! Comment elle t'a appelée, la femme de la revue, là ? "une jeune fille extraordinaire." Voilà ce que tu es. Aucun des gars que je connais ne sait...Bref, il n'y a pas de comparaison possible. Et personne n'y met autant de coeur. Putain de merde, quoi...tout Buenos Aires lit tes articles, tu te rends compte ? et tu sais pourquoi ? parce que tu...tu parles au coeur des gens, et tu parles pour eux, pour nous, enfin...tu sais utiliser des mots...que nous, on ne sait pas utiliser...
Le Baron adorait la pauvreté : la pauvreté, c'était la véritable richesse des riches, c'était la clé magique pour obliger les gens à accepter ce qu'ils n'accepteraient jamais autrement.
- Les femmes, c'est le sel de la vie.
- Ah bon ?
- Un homme qui ne sait pas apprécier les femmes passe à côté de la vie.
Et toi, comment tu t'appelles ... fille sans nom... toi qui est les yeux de ceux qui n'en ont pas, et toi qui regardes ce dont, nous autres, nous détournons les yeux?
La mafia, c'est comme la glu : une fois sur toi, tu ne peux plus t'en débarrasser.