la peur est mon pays. Peut-on l’écrire au titre du lieu de naissance sur la carte d’identité ? Ça me dédouanerait de mon incapacité à être courageux.
La peur est mon pays. Peut-on l’écrire au titre du lieu de naissance sur la carte d’identité ?
Ce qui marque le plus une personne, ce ne sont pas tant ses expériences passées que les paysages dans lesquels elle a vécu. (phrase de Kazuo Kamimura citée p.77).
Si j’ai tant de mal à couper mes liens avec Provins, ça n’est probablement ni par fidélité à l’enfance, ni par besoin de déchiffrer le passé: c’est que la ville et moi nous comprenons bien, nous reflétons l’un l’autre. Nous sommes assortis, unis pour la vie par une même mélancolie âcre et agressive, un même goût de la poussière et du marécage, de ce qui recouvre et englue, chacun à l’abri derrière sa forteresse, guettant l’ennemi depuis les meurtrières, portant sur la plaine le même regard d’envie et d’inquiétude face à tout ce qui peut en surgir, toute nouveauté susceptible de bouleverser l’ordre des choses.
Si j’ai tant de mal à couper mes liens avec Provins, ça n’est probablement ni par fidélité à l’enfance, ni par besoin de déchiffrer le passé: c’est que la ville et moi nous comprenons bien, nous reflétons l’un l’autre.
J’anticipe le mal qu’on peut me faire, et crains que l’odeur de ma peur n’agisse comme un excitant. La peur est mon pays. Peut-on l’écrire au titre du lieu de naissance sur la carte d’identité ? Ca me dédouanerait de mon incapacité à être courageux. J’envie ceux qui le sont. Mais la plupart le sont naturellement : leur courage n’est pas le fruit d’une lutte intérieur, il ne leur coûte rien. Je ne peux qu’avoir le cran d’accepter ma faiblesse, et d’en payer le prix, la peur, en espérant qu’elle suscite l’indulgence et que les autres me laissent "passer". (p31)
la vulgarité afflige ma tante, elle la ramène peut-être à une autre époque, avec la pauvreté tout autour d’elle, les gueules ravagées par l’alcool, la promiscuité, a sept dans un deux-pièces porte de Clignancourt, et la guerre, les privations. la famille revient de loin, et c’est elle qui a impulsé le mouvement vers une vie meilleure, donné l’exemple. Jacqueline compte sur nous tous pour être dignes de cette échappée, hors la pauvreté. Elle compte sur moi.
"J'ai cru que j'étais né au terme d'un voyage que je n'avais pas fait, et que je ne pouvais accomplir qu'à rebours".
Je ne me suis jusqu'alors jamais dit que la mélancolie n'était pas d'une seule pièce, qu'elle pouvait puiser à plusieurs sources et que les plus souterraines n'étaient pas les moins abondantes.
Cette expérience a le mérite de m'enseigner ce qu'implique d'être un homme. Je vois se profiler le service militaire, menace lointaine, comme une séance de natation en continu.