la peur est mon pays. Peut-on l’écrire au titre du lieu de naissance sur la carte d’identité ? Ça me dédouanerait de mon incapacité à être courageux.
la vulgarité afflige ma tante, elle la ramène peut-être à une autre époque, avec la pauvreté tout autour d’elle, les gueules ravagées par l’alcool, la promiscuité, a sept dans un deux-pièces porte de Clignancourt, et la guerre, les privations. la famille revient de loin, et c’est elle qui a impulsé le mouvement vers une vie meilleure, donné l’exemple. Jacqueline compte sur nous tous pour être dignes de cette échappée, hors la pauvreté. Elle compte sur moi.
Si j’ai tant de mal à couper mes liens avec Provins, ça n’est probablement ni par fidélité à l’enfance, ni par besoin de déchiffrer le passé: c’est que la ville et moi nous comprenons bien, nous reflétons l’un l’autre.
"J'ai cru que j'étais né au terme d'un voyage que je n'avais pas fait, et que je ne pouvais accomplir qu'à rebours".
La peur est mon pays. Peut-on l’écrire au titre du lieu de naissance sur la carte d’identité ?
Peut-être ai-je rejeté sur elle [la ville] la responsabilité d’une humeur dont elle n’a fait qu’accentuer les effets. La tristesse vient peut-être d’ailleurs, d’un legs familial dont je refuse de reconnaître l’origine, par peur ‘une remise en cause trop brutale. Je me suis rabattu sur celle qui émane des rues de Provins pour l’en rendre coupable. Je ne me suis jusqu’alors jamais dit que la mélancolie n’était pas d’une seule pièce, qu’elle pouvait puiser à plusieurs sources et que les plus souterraines n’étaient pas les moins abondantes. (p.74)
Mais je persévère cette fois, parce qu’on m’y encourage, et qu’écrire consiste peut-être en ça aussi : reconnaître son impuissance à le faire, et s’y atteler malgré tout. (p. 67)
J’anticipe le mal qu’on peut me faire, et crains que l’odeur de ma peur n’agisse comme un excitant. La peur est mon pays. Peut-on l’écrire au titre du lieu de naissance sur la carte d’identité ? Ca me dédouanerait de mon incapacité à être courageux. J’envie ceux qui le sont. Mais la plupart le sont naturellement : leur courage n’est pas le fruit d’une lutte intérieur, il ne leur coûte rien. Je ne peux qu’avoir le cran d’accepter ma faiblesse, et d’en payer le prix, la peur, en espérant qu’elle suscite l’indulgence et que les autres me laissent "passer". (p31)
Je ne me suis jusqu'alors jamais dit que la mélancolie n'était pas d'une seule pièce, qu'elle pouvait puiser à plusieurs sources et que les plus souterraines n'étaient pas les moins abondantes.
Ce qui marque le plus une personne, ce ne sont pas tant ses expériences passées que les paysages dans lesquels elle a vécu. (phrase de Kazuo Kamimura citée p.77).