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Critique de Ys


Ys
23 janvier 2017
Voici l'histoire de Vania et de Natacha, qui furent élevés côte à côte et auraient pu vivre heureux ensemble. Seulement, un jeune aristocrate est confié aux parents de la belle, laquelle finit par s'en éprendre et s'enfuit avec lui. Bien consciente de piétiner le coeur de son vieux père et celui de son premier amoureux, bien consciente d'anéantir tout espoir de bonheur et de paix parmi les siens comme pour elle-même, rongée de remords, sans guère d'illusions sur le sort qui l'attend et pourtant incapable de résister à cet amour hors de toute raison.
Tandis que Nicolaï Serguéïtch, foudroyé, ne veut plus entendre parler de sa fille, le bel Aliocha affronte résolument son propre père : qu'on le veuille ou non, il épousera celle qu'il aime et non le parti intéressant qu'on a choisi pour lui.
Seulement, à cette résolution, Natacha elle-même ne croit pas. Elle sait que l'ambitieux prince Valkovski ne l'acceptera jamais pour belle-fille et fera tout pour l'écarter. Elle sait que ce délicieux garçon pour qui elle a tout abandonné, malgré tout son amour et ses serments, est faible, influençable, inconséquent - elle le sait depuis toujours, elle l'aime aussi pour ça. Elle sait aussi, tout au fond, que ce mariage n'est même pas désirable, ne saurait être heureux. Alors, que devenir à présent ?
Devenu ami fidèle, confident des deux amoureux, Vania assiste impuissant aux hauts et bas de l'aventure. Tente comme il peut de conforter les deux partis, ceux qu'il considère comme ses parents, celle qu'il ne saurait abandonner, de maintenir entre eux quelques derniers liens... et croise le chemin d'un bien étrange vieillard, qui le mènera à une fillette plus étrange encore.
De génération en génération, les mêmes histoires recommencent - toujours les mêmes malheurs, les mêmes offenses, les coeurs fiers durcis par les humiliations, les coeurs faibles brisés, les coeurs durs qui menacent de triompher, impitoyablement.

Premier roman écrit par l'auteur à sa sortie du bagne, Humiliés et Offensés emprunte beaucoup aux recettes des romans feuilletons de son temps : jeune fille séduite, père offensé, séducteur inconséquent, grand méchant manipulateur, héros dévoué, orpheline maltraitée, misère et turpitudes, passions dévorantes, mystères peu à peu dévoilés, retournements de situation... On pense à Eugène Sue, à Dickens - mais avec une sensibilité toute autre, plus ardente, plus tourmentée, plus éloignée des consensus moraux, de l'esprit petit-bourgeois, avec un meilleur sens de la psychologie, des personnages bien plus intéressants. Natacha surtout est superbe : jeune fille sans grande envergure d'abord, en qui la passion amoureuse et le malheur révèlent une jeune femme sensible et fière, dont l'intelligence lucide et la force d'âme relèguent loin, très loin en arrière, les fades héroïnes auxquelles son histoire peut d'abord faire penser.
Et puis il y a le prince, un formidable méchant, longtemps ambigu, toujours menaçant, dont les dessous se dévoilent en une tirade quasiment sadienne, dangereusement juste malgré son indignité. Il y a le rapport de manipulation assez fascinant qu'il entretient avec son fils. Il y a Aliocha lui-même, qu'on peut trouver inconsistant mais qui n'est pas moins intéressant que les autres - le contraire exact de son père, qui avec une innocence confondante doublée des meilleures intentions du monde parvient à faire à peu près autant de mal que lui. "D'un point de vue psychologique, c'est un des personnages les plus intéressants de la fiction moderne, de même qu'artistiquement parlant il est l'un des plus attirants" disait de lui Oscar Wilde dans un article de 1887 - je n'irais pas jusque là mais ce point de vue ne m'étonne guère. Et d'ailleurs, avec son infinie séduction, sa grâce féminine, sa veulerie et son innocence involontairement malfaisante, on peut trouver à Aliocha un petit côté Lucien de Rubempré :-) (Dostoïevski était lui-même un admirateur De Balzac, c'est formidable, tout se recoupe !)

On reste assez loin de la grande claque que fut pour moi, à l'adolescence, Crime et Châtiment, mais c'est un roman qui mériterait d'être mieux connu, bien plus riche que la simple histoire d'amours contrariées à laquelle on peut le résumer, porteur d'une interrogation intéressante sur la nature du mal, ambigue, complexe, sans cesse changeante, évidente parfois et souvent presque impossible à saisir, toute puissante pourtant.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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