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Critique de NMTB


Journal au sens d'articles de journal, pas de journal intime. On pourrait diviser l'ensemble de ces articles en quatre catégories : ceux sur la politique, ceux sur la justice, les fictions ou semi-fictions et quelques textes sur la littérature russe. Une division arbitraire puisque ces catégories se mélangent parfois. On trouve tout dans les grands romans de Dostoïevski, ces articles n'apprennent pas grand-chose de plus. Dostoïevski est un géant de la littérature mais un journaliste commun, alors j'ai plutôt envie de voir ce recueil d'articles à travers un bilan de mes lectures de ses romans.
J'ai d'abord lu Crime et Châtiment vers l'âge de dix-huit ans et j'en garde très peu de souvenirs, j'ai complètement oublié le dénouement. Je me souviens surtout de la conscience tourmentée du criminel. Mais avec ce titre, j'imagine aujourd'hui qu'il est plus question de justice que je ne l'ai perçu à l'époque. Il y a un évènement qui a apparemment beaucoup fait réfléchir Dostoïevski sur la justice, c'est la nouvelle institution des jurys en Russie. Il trouvait ça excellent mais les jurys posaient quand même quelques questions. La culpabilité ou son sentiment, la responsabilité, la liberté, les droits et les devoirs, en rapport avec la psychologie, sont des thèmes récurrents dans ses romans. Ce n'est pas seulement la conscience des criminels qui l'intéressait, celle des juges, des jurés et des avocats le laissait aussi perplexe. Il a l'air de donner des idées générales sur la justice mais en vérité il prend les affaires au cas par cas, des fois sévère, des fois indulgent.
Vers l'âge de vingt-cinq ans, j'ai lu coup sur coup Les Frères Karamazov et Les Possédés, et là je les ai lus avec passion. On pourrait dire que l'un est un roman sur la religion, l'autre sur la politique, et il ne faut jamais oublier les convictions panslavistes, nationalistes et orthodoxes de Dostoïevski dans son âge mûr. Il pensait que les occidentaux connaissaient mal les Russes, qu'ils les méprisaient et même les haïssaient secrètement. On a tous des a priori sur les étrangers, Dostoïevski en était bourré lui aussi. Il y a toujours un fond de vérité dans les réputations des peuples (mais juste un fond). Il dit, par exemple, que les Français sont arrogants et je crois que c'est mérité. de même, aujourd'hui, je crois que les Russes sont un peuple fondamentalement naïf, peut-être le seul trait de caractère qu'ils ont gardé depuis le dix-neuvième siècle. Dostoïevski était lui-même très naïf dans son nationalisme exacerbé à cause des tensions avec les Turcs, prêt à croire tout ce qui le conforterait dans ses opinions. Un nationalisme qui frise l'anti-occidentalisme, l'anticatholicisme et l'anticommunisme. Tout cela, je le savais ou m'en doutais en ayant lu ses romans. J'ai été plus surpris par son antisémitisme (quoique… c'était tellement commun en ces temps), là encore naïf, il se défend très mal des accusations qui vont en ce sens.
Pour résumer sa pensée politique : il pensait que la propriété privée était bien la base de la société, c'est ce qui l'éloignait du communisme et le poussait à dénigrer les anciens propriétaires terriens russes qui dilapidaient leur capital en émigrant en Europe. Son « capitalisme » était nationaliste et teinté d'idées sociales (lui il aurait dit chrétiennes). Rien d'extraordinaire donc, tout est dans le détail. Ceci dit, l'histoire a prouvé que ses analyses de politiques internationales étaient vaseuses, aussi alambiquées que la théologie du moyen-âge et aussi inconséquentes que les écrits de n'importe quel folliculaire contemporain. Il n'aurait jamais envisagé que la Russie deviendrait pour toujours le symbole du communisme et de son échec. le nombre d'erreurs dans ses prédictions est impressionnant, non seulement pour la Russie mais également pour l'Europe et la France (il avait une vision complètement faussée de la politique française).
Une chose, toutefois, m'est apparue pendant la lecture de l'ensemble de ce recueil et je crois qu'elle est encore liée à sa naïveté. La grande qualité des dialogues de Dostoïevski tient dans l'exposition franche de toutes les opinions, même celles qui lui sont contraires. Quand il expose une opinion, il le fait à fond, prend les meilleurs arguments sans tirer de conclusion. Il est impossible de lire une fiction de Dostoïevski sans donner un peu de participation, réfléchir sur ce qu'il ébauche, ou alors on passe à côté ; mais les lecteurs n'en tirent pas forcément les mêmes conclusions que l'auteur. Parfois c'est faute d'intelligence, comme il le fait justement remarquer dans un article où il est obligé d'expliquer une fiction sur le suicide d'un matérialiste publiée quelques mois plus tôt. Quand on connait un peu ses opinions, c'est facile, on sait très bien qu'il était chrétien et il n'y a pas d'ambiguïté sur ce qu'il pensait des matérialistes et du suicide. Mais il rentre tellement dans son personnage et met tellement de conviction dans ses arguments qu'on pourrait se demander où il veut en venir.
L'ambiguïté, la mise à plat, est pourtant ce qui rend les romans de Dostoïevski si passionnants. Parmi tous les petits contes qu'il a publié dans ce journal, il y en des comiques, avec de très bonnes idées de départ, mais il y en a un en particulier qui résume tout son art, c'est La Timide : le monologue d'un mari sur sa jeune épouse suicidée. Sentiment de culpabilité, vraies responsabilités, déchirement, amour, haine, ambiguïté du bien et du mal, tout y est, un petit bijou. Un petit conte avec de grandes vérités vaut toujours mieux qu'un article politique partisan.
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