Il y a un vieux proverbe talmudique qui dit : « Ne pas dormir rend fatigué, ne pas rêver rend mort. » C’est seulement aujourd’hui que j’en ai compris le sens. Réfléchissez-y. Ne pas rêver rend mort.
Au réfectoire, c’est l’heure du déjeuner pour le personnel. Les maîtres d’hôtel ont pris soin de nouer une serviette autour de leur cou pour épargner leur plastron immaculé, les femmes de chambre et les garçons d’étage ont enfin l’occasion de s’asseoir et de reposer leurs jambes gonflées par l’effort.
Il est de si méchante humeur qu’il houspille pour un rien le jeune marmiton qu’il avait giflé un peu plus tôt. Lequel finit, exaspéré, par dénouer son tablier et annoncer à la cantonade qu’il ne passera pas une minute de plus dans cette boîte de tortionnaires.
– Tu veux démissionner ? rétorque le chef de cuisine avec une ironie méchante. Très bien, mais je te rappelle que nous n’avons plus de directeur. Il n’y a plus personne pour l’accepter, ta démission.
Personne n’avait songé que l’autogestion rendait autant prisonnier que libre.
J'ai l'impression étrange je vous l'accorde,
poursuit Patrick Modiano,
d'avoir vécu avant d'être né
et de porter les marques du Paris de l'occupation.
p 117
Personne n'avait songé que l'autogestion rendait autant prisonnier que libre.
Lequel d'entre eux, plus inspiré que les autres, a décidé que cette Meuriciade resterait dans les mémoires comme le "déjeuner des barricades ? " Nul ne le sait plus. En tout cas, l'oxymore est aussitôt fêté par une tournée supplémentaire.
Désormais, une frontière invisible séparera ceux qui en étaient, et les autres.
Ce qui l'ennuie, la présidente du jury,
Florence,
c'est qu'elle n'a pas lu son roman.
Elle ne lit jamais de toute façon.
Ce sera la cinquième édition du prix Roger Nimier.
p41
C'est bien connu : il ne faut jamais insulter l'avenir.
Nul ne peut ignorer le caractère insigne de cette journée. Les membres du personnel sont chez eux. La direction a été remerciée. C'est, en quelque sorte, le monde à l'envers.
Il a traversé la Seine en face du quai de Conti. Sur le pont des Arts, des fourgons de CRS en faction l'ont mis mal à l'aise. La police partout, comme sous l'Occupation. Un Paris piéton, silencieux, méfiant : l'Occupation, encore. Il a marché le long des arcades de la rue de Rivoli. Avec ses grands jambes, le trajet ne lui a pris que quelques minutes. Par la rue de Castiglione, il a rejoint la rue du Mont-Thabor. Devant le numéro 13, il a retenu son souffle et a levé les yeux vers la façade.
Est-une illusion ? Elle est scarifiée par les svastikas.