On ne mesure pas assez à quel point ces rivières de petites vacheries se transforment en un océan de boue charriant injures, calomnies, insinuations, harcèlements, menaces... La marée monte, d'heure en heure, sans limites ni garde-fous, en toute impunité, se transformant en machine destructrice. Parce que les mots lancés poursuivent leur trajectoire. Avec des conséquences qui ne sont pas verbales. Le plus souvent ils égratignent, parfois blessent profond. Finalement, ils peuvent tuer. Ou inciter à tuer. De la parole à la mort, le chemin est plus court qu'on ne pense. Encore faut-il le savoir. Donc se souvenir du pouvoir immense de la parole, de la puissance des mots, de la responsabilité qui incombe à chacun de peser ce qu'il dit, ce qu'il répète, transmet ou attaque. Construire ou détruire, il faut choisir. A chaque seconde. Toujours et tout le temps. Le pire est de s'imaginer que parler ou se taire est sans importance, sans impact, sans conséquences.
Des mots aux meurtres
En réalité, tout se joue dans la parole. Vérité ou mensonge, asservissement ou émancipation, lucidité ou illusion. Vie ou mort. Il faut garder en tête le glissement rapide, la pente directe capable de conduire des mots aux meurtres. Chacun en connaît mille exemples, mais tous regardent ailleurs.
la novlangue a pour objectif d'éradiquer toute nuance. Elle fournit par avance le cadre de ce qui est à dire. La victoire de cette langue serait un crime parfait. Personne ne se révolterait plus, au nom de la liberté ou de la dignité humaine, parce que les idées de révolte, liberté, dignité, humanité auraient disparu des consciences, n'ayant plus d'existence dans la langue disponible. Si les mots manquent, le monde manque.
La parole est, de fait, ancrée dans le corps des êtres humains, dans leur psychisme et leur imaginaire. Elle travaille et transforme nos représentations, nos désirs et nos actes, nos relations aux autres.