Elle se souvient de sa première vision de lui lors de son arrivée à Blackson House, alors qu’il galopait à cru sur Flame. Pendant des mois, il est resté une ombre sans visage qu’elle apercevait à cheval, au loin. Elle s’est choquée elle-même en constatant combien l’observer, même dans le flou du lointain, faisait battre son cœur plus vite ou asséchait sa bouche.
Cette maison n’est peut-être pas l’antre de l’horreur qu’elle a un instant imaginé, même si elle n’en a pas tout vu. Malgré tout, le peu qu’elle a déjà observé établit clairement que le château est un endroit des plus négligés.
Avec un frisson lui viennent les souvenirs des vieux romans d’épouvante qu’elle lisait, plus jeune. La maison lugubre, le maître inquiétant, les domestiques invisibles…
Elle repousse ces images fantasmagoriques, redresse le dos et les épaules. Elle doit absolument faire la meilleure des premières impressions aux domestiques qui seront sous ses ordres. Elle ne peut se permettre de prêter le flanc au moindre manque de considération de leur part.
Ce qu’elle a étudié dans ces comptes rendus ne reflète pas la réalité de ce qu’elle observe. Miss Blackson a-t-elle volontairement minimisé l’ampleur de sa tâche ? Ou Horton n’était-il pas aussi efficace qu’il le laissait croire à son employeur ?
Elle sourit doucement, mais ses yeux sont éteints.
Son cœur comprend avant son esprit et se broie longuement, douloureusement. Il lève une main tremblante vers les lèvres sans vie. Effleure ses joues, caresse ses cheveux, embrasse son front.
Incrédule, il se redresse, la dévisage.
Elle est morte.
Sa Dame est morte.
Il est seul.
Rien n’est pire que l’idée qu’elle soit seule à souffrir, allongée sur un lit pour mettre leur enfant au monde.
La veille encore, il rêvait que leur bébé soit une fille. Désormais, seuls lui importent que la douleur d’Aggie cesse et que le bébé soit en vie et en bonne santé. Garçon ou fille, quelle importance, puisque cet enfant sera le leur ?