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Critique de dourvach


"L'Auberge des Trois Clefs" (département de la Marne) sous une pluie diluvienne, simenonienne... Ses chaises et ses tables de ferraille qu'on a oublié de rentrer... Fenêtres à petits carreaux éclairées de l'intérieur par une lumière jaune et chaleureuse (puis bleue à cause du poste de télévision noir-et-blanc que l'on allumera "pour voir Ric"). Linteaux et arcades de pierre des anciennes écuries, pierres apparentes des façades, toiture d'ardoise, ambiance entre chien et loup. L'orage éclaire encore l'horizon de cette fin du jour... Pluie et nuit obsédantes, tenaces... Une étrange magie noire se dégage dès la première case magistrale de "Piège pour Ric Hochet", opus initialement paru en épisodes dans l'hebdomadaire Tintin (Le "Journal des Jeunes de 7 à 77 ans") et cinquième album de la série ricquienne à paraître aux bientôt légendaires éditions le Lombard de Marcinelle... Une image définitive due à Mittéï (Tibet trouvant, à tort, que dessiner les décors était barbant...).

Dès la deuxième case, une apparition muette et discrète, à la fois lunaire et solaire, sorte de contrepoint définitif à la nuit qui envahira tout l'album : le visage souriant de Nadine, nièce du Commissaire Bourdon, vouée à ne plus jamais quitter la silhouette avantageuse de "Ric"... Nadine est une "adulescente" de 17-18 ans, jeune intrépide à chevelure blonde qui n'hésitera jamais à enfourcher son vélo de nuit ET sous la pluie pour aller explorer de plus près un mystérieux domaine zoologique...

Les admirables "clair-obscur" des phares de voiture (Admirons par exemple cette 1ère case de la 3ème planche) : l' encre de couleur jaune dorée diluée y fait front au bleu cobalt et au noir corbillard des voitures des "méchants" (la teinte canari de la Porsche de Ric s'oppose à la Ford du chauffard mystérieux comme à la Mercedes du gangster aux lunettes noires)...

Car nous ne quitterons plus le chant du pneumatique sur l'asphalte mouillé au long de ces soixante planches évidemment toutes rudement bien dessinées.

Christian, le petit frère de Nadine, est injustement accidenté dès la 3ème planche... Et l'on repense à la tragédie intime de Jules Guérec dans "Les Demoiselles de Concarneau" [1936] de Georges SIMENON...

Elodie, patronne de l'Auberge et soeur de Sigismond Bourdon, malmène impitoyablement son gros bourru (et bourrin) de frangin Commissaire : c'est qu'il n'en fait jamais assez, ou jamais assez vite... Mme Maigret aurait un peu plus de respect pour le travail de Jules M., mais c'est ainsi...

Le brigadier de Gendarmerie arbore, lui, un superbe uniforme (mon grand-père avait le même képi galonné) et une moustache neigeuse.

Michel, le fiston des témoins de l'accident, a reconnu la voiture de "l'écraseur" puisqu'il a la même en miniature "Norev" et qu'il la montre à Ric en souriant et lui annonçant : « Oui... Mais la mienne est plus belle... plus propre ! ».

Le gangster rital (aux lèvres lippues) "Amato Palermo" a un peu plus la tête de l'acteur Renato Salvatori plus que de du chanteur Salvatore Adamo ("Inch Allah !') ...

Le garagiste Albert Drillon dit "Bébert" est, lui, un joyeux drille, bien qu'il ait "fait la guerre de Corée" : sûr qu'il gardé de ses "opex" tous ses sacrés "bons" réflexes... Un p...tain de débrouillard qu'on commence évidemment par soupçonner, vu ses exploits de casse-cou à 180 kms/heure et sa mauvaise caboche (boule à zéro de "Monsieur Propre", par ailleurs toujours en bleu de travail...).

Le Docteur Vogler (ancien nazi en fuite, évidemment pas même repenti, et surtout ni vu ni connu... ), pas très net, se situe entre le Docteur Müller de "L'Île Noire" [1937-1938] de Tintin et Milou du bon HERGE et son lointain ancêtre le Docteur Moreau de "The Island of Dr. Moreau" / "L'île du Docteur Moreau" [1896] de Herbert Georges WELLS...

La panthère noire (Saïda") est plus proche de celle du roman du formidable et sulfureux film "La Féline"/"Cat People" [1942] de Maurice TOURNEUR... que de la sympathique "Bagheera" de "The Jungle Book" [1967] de Wolfgang REITHERMANN des studios Walt Disney...

Et les acolytes du Docteur ? L'Amato déjà cité mais aussi : Ernst, Hans... ('"Ach ! Donnerwetter" ! dirait le Professeur Grossgrabenstein d'Edgar P. JACOBS !). Et son bulldog inquiétant, Aryen blanchâtre nommé "Tarzan"...

En mille occasions, Ric devra faire rempart de son corps déployé pour protéger Nadine des mille dangers nocturnes. La toile d'araignée de la couverture est d'ailleurs celle de la fabuleux scène générique (sur fond noir) de "The Haunted Palace"/ "La malédiction d'Arkham" [1965] de Roger CORMAN, magistrale adaptation de "The Case of Charles Dexter Ward"/"L'affaire Charles Dexter Ward" [1927/1941] de H.-P. LOVECRAFT...

Le lâcher en parachute de Ric (en combinaison d'aviateur) la nuit sous la pluie, dérivant juste au-dessus des cages à félins dans la propriété du Docteur cernée de hauts murs et de barbelés est un "morceau de bravoure" inoubliable...

Je ne peux conclure que par ce qu'en racontent mes jeunes héros-ados, "Chris" (pour Christine) et "Val" (pour Valentin) dans ce très nostalgique petit roman des années "Ric", intitulé "L'été et les ombres" [2009/2014]...
Extrait :

« — Tu devrais lire "Ric Hochet" !
— Qu'est-ce que c'est ?

Incroyable...
... à croire qu'elle ne lit jamais de bandes dessinées...

— Tu en es restée à "Lili" ou quoi ?
— Ben oui... pis les "Alice"... mais t'as remarqué ? J'ai plus mes huit ans... et ça fait un moment qu' ma mère me prête ses "Harlequin" !

Aïe-aïe-aïe-aïe-aïe... Cauchemar total ! Pourquoi les filles tombent-elles dans des pièges-à-souris pareils ? Même pas lu un "Bob Morane" de sa vie... pas besoin de s'informer non plus sur les "Jules Verne" et "Stevenson"... Quant à "Matheson"...

— Bon... et "L'homme qui rétrécit", ça t' dit quêqu' chose, au moins ?
— A moi ? Rien... (yeux rieurs)... Est-ce que tout rétrécit pareil en lui ?
— Très drôle... »

[Chap. 5 : "Ric, Nadine & Bourdon, Hugo, Stevenson & Matheson", réédition Mon Petit Editeur (Paris), 2014 — page 43]

Bref, la vignette inaugurale de "L'auberge des Trois Clefs" de "Piège pour Ric Hochet" est pour le jeune Val (devenu adulte, sans doute) ce qu'est la fameuse madeleine du narrateur de "A la recherche du temps perdu" [1906-1922] de Marcel PROUST... Pour Chris, évidemment, elle se demande ce que Ric et Nadine attendent pour s'embrasser au milieu de toutes ces scènes en (divin) clair-obscur...

Nadine passant son pull bleu dans l'obscurité sa chambre de jeune fille et pestant (en pensées) contre Ric : « "Il" me traite en gamine... Mais je vais "lui" montrer qu' "il" a tort ! J'ai ma petite idée, moi ! » ...

Chris adorait bien sûr cette scène puis celle du vélo de Nadine dans la nuit (avec la petite lumière jaune devant) tandis que Val (qui lui avait prêté son cher album de Ric) préférait évidemment les scènes à fusil à seringue hypodermique et à poursuites de bagnoles...
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