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Citations sur Le délire occidental (6)

Le salariat se présente en effet comme une sorte de contrat: en échange d'un certains nombres d'heures de travail, on peut acquérir des droits sociaux.
Le salariat traduit le passage du sevrage à une servitude. Il y a servitude car le travail reste généralement aliéné (c'est l'employeur qui décide des formes et du contenu de ce travail), mais cette aliénation donne cependant des droits.
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37. (...) si l’utilisation permanente du chronomètre a suffi à faire d’une technique fruste une supposée science, c’est probablement parce que le chronomètre, et son ancêtre l’horloge, bénéficiaient depuis longtemps d’une représentation très favorable dans l’imaginaire social occidental. Et, de fait, le comptage exact du temps remonte au Moyen Âge, vers 1330, au moment de l’invention de l’horloge mécanique à poids venue remplacer la clepsydre (horloge à eau), imprécise et soumise aux conditions atmosphériques (sécheresse, gel…).

Non seulement la manière de percevoir le temps allait radicalement changer, mais, comme l’explique Jacques Le Goff dans La Civilisation de l’Occident médiéval, les activités humaines allaient devoir se soumettre de plus en plus strictement aux exigences de l’horloge. En effet, le temps circulaire du calendrier liturgique, le temps linéaire des histoires et des récits, le temps des travaux et des jours, le temps des saisons, tous ces temps différents, allaient devoir s’aligner sur un seul et même temps divisible en parties égales et mécaniquement mesurables, celui des horloges. La notion d’« heure » allait elle-même profondément changer. Avant, l’heure était en quelque sorte variable : il y avait, quelle que soit la saison, douze heures pour la nuit et douze heures pour le jour. En hiver donc, l’« heure diurne » était plus courte qu’en été et l’« heure nocturne » plus longue qu’en été. Avec la machine à mesurer le temps, cette sorte de respiration interne des heures est devenue obsolète. C’est ainsi que vers 1400 fut institué le système moderne des « heures égales ».

Déjà, dans Technique et Civilisation (1934), Lewis Mumford affirmait que l’horloge constituait un bien meilleur point de départ que la machine à vapeur pour comprendre la révolution industrielle à venir : non seulement parce que la fabrication des horloges est devenue l’industrie à partir de laquelle les hommes ont appris comment fabriquer des machines, toutes sortes de machines, mais surtout parce qu’elle a été la première machine automatique qui ait pris une importance significative dans la vie des humains, en la transformant profondément.

On peut comprendre ces transformations en lisant le remarquable livre, à mi-chemin entre essai et science-fiction, de l’historien des sciences Pierre Thuillier, La Grande Implosion. Rapport sur l’effondrement de l’Occident – titre prémonitoire s’il en est. Il montre qu’à cette transformation du temps en quantité pure correspondent les débuts du règne du marchand. Cet homme quantitatif par excellence a en effet tout de suite compris que l’horloge l’aiderait à gérer plus efficacement ses affaires, à mieux utiliser son temps et celui des autres. C’est pourquoi les bourgeois d’alors organisèrent très tôt un véritable culte du temps mécanique en installant une imposante horloge partout visible au plus haut du beffroi de leur hôtel de ville.
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47.

L’analyse de Gramsci, très éclairante sur le taylorisme, le fordisme et les transformations de la société américaine, pose cependant un problème. Il postule en effet, et c’est là une constante chez lui, qu’aux pires instants du travail aliéné,

l’ouvrier […] reste un homme et même […] pendant le travail, il pense davantage ou, en tout cas, il a bien plus de possibilités de penser […]. Et non seulement il pense, mais le fait qu’il n’ait pas de satisfactions immédiates par le travail et qu’il comprenne qu’on veut le réduire à un « gorille dressé » peut l’amener à produire des pensées peu conformistes 93.

Il y a dans ce trait de pensée un véritable « paradoxe gramscien » que l’on pourrait exprimer ainsi : la coercition extrême devient en quelque sorte l’occasion, si ce n’est la condition, de la pensée la plus vive. On retrouve là un trait que Gramsci a beaucoup développé aux cours des années de prison : la contrainte peut paradoxalement produire des effets de civilisation. On pourrait rapprocher ce raisonnement gramscien de l’analyse que Freud conduit, à peu près à la même époque, dans Malaise dans la civilisation, puisque la civilisation apparaît comme le résultat d’une répression pulsionnelle. À une différence notable près cependant. Freud considère la répression nécessaire de pulsions excessives, notamment celles relatives à l’inceste, ce qui permet la succession des générations et, de là, la civilisation. Gramsci considère des surrépressions dues à l’exploitation industrielle, qui, elles, ne sont pas nécessaires pour que la civilisation suive son cours.
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De plus en plus de personnes doivent désormais choisir entre la peste (l'absence de travail) et le choléra (le travail aliéné).
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Ce qui va dans le sens d’un véritable progrès serait ce qui lutte contre l’obsolescence de l’homme, contre ce faux progrès qui tend à rendre l’homme superflu. Il faut en somme que l’homme revienne dans le monde, de manière à en redevenir le gardien plutôt que le maître tyrannique qui en use et abuse à sa guise, au risque même de ruiner ses propres conditions de vie et de survie et de se retrouver pris, comme l’apprenti sorcier, à son propre piège. Tout ce qui va en ce sens serait alors décomptable comme progrès effectif et le reste comme menace belliqueuse. Il ne faut jamais oublier, surtout lorsqu’on critique la technologie, que la technique est de toujours, avec les récits et les grammaires, une des composantes majeures de la culture, apanage de l’homme. C’est pourquoi il faut, pour retrouver un rapport pérenne au monde, qu’elle soit sous contrôle afin qu’elle ne devienne ni technologie, ni technocratie, comme telles aveugles. Soit tout ce qui entraîne la destruction des savoir-faire et des savoir-vivre, la déchéance physique, psychique et sociale des individus, la marchandisation progressive mais totale du monde (un jour, il faudra payer l’air qu’on respire), des accidents industriels toujours plus monstrueux, des pollutions massives, des menaces directes contre la vie et sa diversité et même la fin de l’amour et l’altération du loisir.
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4. (...) il ne faut pas oublier que l’idée de cette exploitation totale et méthodique du monde est partie d’Europe il y a maintenant près de quatre siècles. Ce n’est pas d’un Yanomami, d’un Inuit, d’un Bantou, d’un Sré, d’un Pygmée, d’un Han, d’un ismaélite ou autre qu’est partie cette idée, c’est d’un dénommé René Descartes. Le chevalier Des Cartes, qui vivait dans les Provinces-Unies des Pays-Bas, lieu de développement du premier capitalisme, a en effet su parfaitement exprimer l’esprit conquérant de son temps.
(...)
Tout est dit dans ce court extrait de la partie conclusive du Discours de la Méthode. 1 ° Il faut passer d’une philosophie spéculative à une philosophie pratique permettant d’agir sur le monde, ce qui implique la fin de la « théorie » au sens grec de theorein (littéralement « contempler »), c’est-à-dire la fin de la vita contemplativa, au seul profit de praxis impliquant comme telles un agir. 2 ° Ceci permettra la création d’une infinité d’artifices permettant à chacun de jouir sans peine. 3 ° Ceci apportera la grande santé et le développement de l’esprit.
(...)
Ce programme commun Bacon / Descartes de maîtrise de la nature a manifestement constitué un turning point dans l’aventure humaine.

Descartes a rétrospectivement raison : partout où il a été appliqué et partout où il est encore aujourd’hui appliqué (sur les anciennes terres des Yanomamis, des Inuits, des Bantous, des Srés, des Pygmées, des Hans, des ismaélites et des autres anciens peuples), les moyens d’action sur le monde sont passés du mode incantatoire au mode opératoire, des objets les plus divers sont apparus apportant certaines satisfactions nouvelles, la santé et l’esprit se sont globalement développées. Mais Descartes a simplement oublié de mentionner le prix à payer pour ces bienfaits. Il est exorbitant. L’arraisonnement du monde (Gestell pour emprunter le langage de Heidegger) implique sa destruction. Il manque donc un point quatre à l’exposé cartésien. Un propos tel qu’il aurait risqué, s’il avait été développé, de faire réfléchir à deux, voire à trois ou même à quatre fois, avant que l’Europe ne s’y engage tête baissée.
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