AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Arakasi


D'Artagnan s'ennuie. A quarante ans presque révolus, il a vu toutes ses espérances de jeune homme se dissiper les unes après les autres. Envolées les ambitions ! le voici toujours lieutenant aux Mousquetaires après vingt ans de loyaux services. Enfuis les amours ! Depuis que la pauvre Constance est morte, il n'a pas aimé d'autres femmes et s'est résigné à courtiser mollement sa ventripotente logeuse. Disparues les amitiés ! Athos, Porthos et Aramis l'ont quitté un à un, le premier pour reprendre ses responsabilités de Comte de la Fère, le second pour épouser sa vieille et laide procureuse et le troisième pour se faire abbé. Mais, après vingt ans d'interminable attente, la chance semble à nouveau lui sourire : dans un dernier sursaut d'orgueil avant de ployer définitivement sous la poigne de fer de Louis XIV, la noblesse française s'est révoltée et la guerre civile menace de déchirer le pays en deux. Mazarin, le premier ministre haï et méprisé d'Anne d'Autriche, aurait bien besoin d'une poigne vigoureuse et d'un coeur courageux pour protéger son pouvoir chancelant. Seul, D Artagnan n'envisage pas de relever le défi, mais s'il parvient à retrouver et à rallier ses quatre amis, nul doute que la Fronde entière sera forcée de plier le genou devant eux.

Encore faudrait-il parvenir à les rallier, ces amis… Si Porthos, lassé de sa vie de gros bourgeois campagnard, se joint avec enthousiasme à son ancien camarade, Athos se montre évasif et Aramis distant. Tous deux ont rallié secrètement la Fronde, l'un par esprit de caste et l'autre par ambition, et s'ils font de leur mieux pour dissimuler leur nouvelle allégeance à D Artagnan, celui-ci est bien trop fin pour s'y laisser prendre. Malheur aux vieux amis divisés par les luttes politiques ! Car si l'union les faisait invincibles, le conflit les rend seuls et faibles, et une séparation prolongée pourrait entraîner leur perte à tous. D'autant plus qu'un terrible danger plane sur les anciens mousquetaires : par-delà la tombe, la satanique Milady de Winter menace à nouveau de les frapper en la personne de son fils, Mordaunt, décidé à venger l'assassinat de sa mère en pourchassant et en brisant ses meurtriers. Comme le résume sinistrement Grimaud, le laconique et fidèle valet d'Athos, « Cette femme avait un enfant, l'enfant est devenu un homme ; la tigresse avait un petit, le tigre est lancé, il vient à vous, prenez garde ! »

C'est un bien dangereux pari auquel Dumas se livre avec « Vingt ans après »… En effet, qui souhaite réellement voir vieillir ses héros ? Les voir se salir, s'aigrir et s'user aux rigueurs et aux douleurs de l'existence ? Il faut être un très talentueux et audacieux auteur pour se lancer sur un chemin aussi périlleux, mais – et heureusement pour nous, affectionnés lecteurs – du talent et de l'audace, Alexandre Dumas en a justement en abondance ! Vingt ans après, nos chers Mousquetaires ont vieilli, ils ont grisonné, se sont écartés les uns des autres, mais malgré les ravages du temps ils sont parvenus par un petit miracle littéraire à rester plus attachants et intéressants que jamais !

A l'exception de Porthos dont l'éternelle bonhommie enfantine semble indestructible, ils ont changé pourtant et pas toujours en bien. D'Artagnan a perdu son innocence et sa candeur de jeune homme, mais il a gagné en pragmatisme, en ironie et en vivacité d'esprit, s'imposant plus que jamais comme le chef de la petite bande. Athos semble apaisé en apparence par la paternité (parce que, oui, Athos est devenu papa ! Et vous ne devinerez jamais comment...), mais ses vieux démons rôdent toujours dans l'ombre et ressurgissent au galop avec l'apparition de Mordaunt. Aramis est partagé entre son sens de l'amitié et son ambition grandissante, une lutte qui trouvera son achèvement tragique dans « le Vicomte de Bragelonne », le troisième tome de la trilogie des Mousquetaires. Pourtant, malgré des divergences de caractères de plus en plus marquées, l'amitié des quatre hommes perdure contre vent et marée, et donne lieu à certaines des scènes les plus touchantes écrites par Dumas. Ouaip, j'avoue, toute cette camaraderie virile, ces taquineries amicales et ces grandes démonstrations fraternelles m'ont mis plus d'une fois les larmes aux yeux. Que voulez-vous ? Je suis une grande sensible qui s'ignore.

Niveau intrigue, « Vingt ans après » est tout aussi enlevé et même mieux construit que « Les Trois Mousquetaires ». Dumas y fait preuve d'un talent frappant pour équilibrer humour et tragédie, aussi à l'aise dans le premier registre que dans le second. Chaque nouvelle relecture est une occasion pour moi de me gondoler aux bourdes réjouissantes et attendrissantes de Porthos, mais aussi de frémir aux dramatiques événements de la Révolution anglaise à laquelle seront mêlés tardivement nos quatre amis. La scène de la décapitation de Charles Ier est un morceau de bravoure particulièrement spectaculaire, frôlant presque le fantastique. On retrouve ce même contraste chez les antagonistes de nos Mousquetaires, Mazarin étant clairement un méchant pour rire, plus burlesque qu'inquiétant, et s'opposant à la figure effrayante et vengeresse de Mordaunt. Personnage très réussi, celui-ci s'avère le digne fils de sa mère en matière de vices avec, en sus, une aura tragique et pitoyable dont Milady était dépourvue (ajoutez à cela un côté très oedipien, car franchement : Mordaunt/Mordred, ne me dites pas que cela ne vous a pas effleuré l'esprit à vous aussi…) le tout donne un grand, très grand roman d'aventure, assurément l'un des plus beaux d'Alexandre Dumas et qui mériterait une bien plus grande renommée !

Commenter  J’apprécie          475



Ont apprécié cette critique (37)voir plus




{* *}