Citations sur Pour un catastrophisme éclairé (29)
La rationalité procédurale a du bon, sauf lorsqu'elle se construit au prix du renoncement à toute rationalité substantielle. Sur des problèmes aussi essentiels pour l'avenir de l'humanité que les défis et les dangers de la technique, le recours à la dissuasion au moyen d'armes de destruction massive ou les problèmes dits d'environnement trop souvent l'appel à la démocratie sert d'alibi à l'absence de réflexion normative.
C'est bien là la source de notre problème. Car s'il faut prévenir la catastrophe, on a besoin de croire en sa possibilité avant qu'elle ne se produise. Si, inversement, on réussit à la prévenir, sa non-réalisation la maintien dans le domaine de l'impossible, et les efforts de prévention en apparaissent rétrospectivement inutiles. Je défends dans ce livre la thèse que ce qui se pense aujourd'hui sous le nom de "précaution" face à ce que l'on appelle, à tort nous le verrons, des "risques", bute sur cet obstacle majeur.
Le monde a vécu l'événement du 11 septembre moins comme l'inscription dans le réel de quelque chose d'insensé, donc impossible, que comme l'irruption du possible dans l'impossible. La pire horreur devient désormais possible, a-t-on dit ici et là. Si elle devient possible, c'est qu'elle ne l'était pas. Et pourtant, objecte le bon sens (?), si elle s'est produite, c'est bien qu'elle était possible. J'avais précisément placé cette apparente contradiction au coeur de ma construction d'une position tout à la fois catastrophiste et rationnelle.
En vérité, si l’absurdité nous est cachée, d’un mode de vie et d’une structuration de l’espace-temps social qui conduisent tant de gens à consacrer tant de temps généralisé à leurs déplacements pour une efficacité moyenne si faible, c’est qu’ils substituent du temps de travail au temps de transport.
(page 38)
C’est au siècle dernier que l’humanité est devenue capable de se détruire elle-même, soit directement par la guerre nucléaire, soit indirectement par l’altération des conditions nécessaires à sa survie.
Le franchissement de ce seuil était préparé depuis longtemps, mais il a rendu manifeste et critique ce qui n’était jusqu’alors que danger potentiel.
(page 17)
Le monde a vécu l'événement du 11 septembre moins comme l'inscription dans le réel de quelque chose d'insensé, donc impossible, que comme l'irruption du possible dans l'impossible. (page 10)
Nous tenons la catastrophe pour impossible dans le même temps où les données dont nous disposons nous la font tenir pour vraisemblable et même certaine ou quasi certaine. (…) Ce n’est pas l’incertitude, scientifique ou non, qui est l’obstacle, c’est l’impossibilité de croire que le pire va arriver.
C’est parce que la catastrophe constitue un destin détestable dont nous devons dire que nous n’en voulons pas qu’il faut garder les yeux fixés sur elle, sans jamais la perdre de vue.
Comme la tragédie du 11 septembre 2001 l'aura montré de façon saisissante, c'est non seulement le savoir qui est impuissant à fonder la crédibilité, mais c'est aussi la capacité de se représenter le mal, ainsi que la mobilisation de tous les affects appropriés. Cependant, je le répète, au delà de la psychologie, le problème engagé toute une métaphysique de la temporalité, ainsi que Bergson l'a magnifiquement compris à propos de la création. Notre temps impose de transposer au cas de la destruction la leçon qu'il nous a donnée. Avec les hommes, l'évolution créatrice s'est doublée de sa part maudite, l'évolution destructrice.