Citations sur 160000 enfants: Violences sexuelles et déni social (24)
Peguy l'a dit, une civilisation sera jugée sur ce qu'elle aura considéré comme négociable ou non négociable, il ne faut jamais l'oublier.
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II n'y a pas beaucoup de possibilités, il y en a que deux : quand une petite fille ou un petit garçon, une adolescente ou un adolescent, ou une femme ou un homme adulte se dit victime de violences sexuelles, soit on le protège, soit on ne le protège pas. On le croit ou on ne le croit pas. Si on le croit, on le protège. Si on ne le protège pas, c'est qu'on ne le croit pas.
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Le déni a pour fonction d'autoriser à faire comme si ça n'existait pas. Il peut prendre plusieurs formes : ça n'existe pas, ça n'est pas vrai, ça n'est pas grave, les victimes peuvent très bien s'en sortir, ça ne nous regarde pas, on ne peut rien faire. Qui peut sérieusement prétendre que le déni appartient au passé? Le déni subsiste, toujours puissant et ancré.
Le déni a un corollaire immédiat, l'impunité des agresseurs. Le déni collectif et l'impunité des agresseurs marchent main dans la main, tranquillement, avec assurance, sans inquiétude. Main dans la main. Comme si de rien n'était.
Quelque chose s'est grippé dans le mécanisme du déni. Un grain de sable, puis un autre, puis un autre, puis des milliers. Le premier, compté pour rien, puis le second, et plusieurs encore, comptés pour rien. Puis des milliers. Les mots comme des grains de sable, la parole des victimes, les témoignages énoncés un à un, chaque témoignage dans son unicité irréductible a rejoint tous les autres. Chaque histoire personnelle, conservant son unicité irréductible et rejoignant toutes les autres, a été exprimée dans son universalité. Chaque récit privé a rejoint tous les autres et a ouvert le clos du privé pour affirmer sa légitimité sociale, publique, politique.
Et puis les enfants sont des gens sérieux, qui vivent leur vie sérieusement, et qui parfois sont confrontés à des choses absolument effrayantes, cruelles. Les enfants sont des gens sérieux, il n'y a qu'à regarder un enfant qui joue, rien n'est plus sérieux qu'un jeu d'enfant, rien n'est plus grave, plus intense.
Il n'y a qu'à regarder un enfant qui parle à un adulte, qui attend une réponse, un enfant qui regarde le monde des adultes et qui se demande s'il a bien fait de leur faire confiance, s'il a bien fait de les croire quand ils lui ont dit de leur faire confiance, de leur dire si quelque chose n'allait pas. Alors que c'est tellement difficile à dire, qu'on ne sait pas ce qui va se passer quand ça aura été dit, même si on sait bien que ce sera compliqué, c'est pour ça que l'enfant a longtemps hésité avant de le dire.
Les enfants sont des gens sérieux, on l'oublie toujours, on fait semblant d'être plus sérieux que les enfants. Pourtant c'est l'une des rares expériences absolument universelles : avoir été un enfant. Avoir été si vulnérable, si dépendant de la bienveillance, de l'attention des autres. Si dépendant du regard des autres, et d'abord de ses parents, pour être quelqu'un d'unique dans leur regard, avoir une identité, une identité inaliénable.
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Qu'on va les croire ? Qu'on va les protéger ?
C'est en effet ce qu'ils pensent, qu'on va les croire et les protéger ou protéger leur enfant. Ces enfants, ces mères le pensent d'autant plus quon leur a donné l'assurance que c'est ce qui se passerait. On leur a dit, on leur a montré des films, on a diffusé des spots. Avec un message clair : vous pouvez avoir confiance, n'attendez pas avant de révéler ce que vous subissez.
Le déni a un coût monumental.
Un coût humain, celui de la souffrance de chaque être humain passé par les armes du sexuel, quel que soit son âge ou son sexe; celui de la souffrance des personnes qui l'entourent et qui veulent l'aider, le protéger, le soutenir par amour, par fidélité, par solidarité, par devoir; celui des victimes suivantes puisque l'agresseur jouit d'une impunité encourageante.
Ça ne doit pas exister. » Cette phrase est équivoque, ambiguë. Ça ne doit pas exister, au sens où toute société digne de ce nom a le devoir de s'organiser pour protéger les enfants avant qu'ils ne soient victimes de violences sexuelles et pour protéger ceux qui révèlent qu'ils le sont ?
Ou ça ne doit pas exister au sens où ça ne peut pas être vrai, ça n'est pas possible, ça ne doit pas être su, au sens où une société préfère s'organiser pour faire comme si ça n'existait pas ?
Au moins un enfant toutes les trois minutes.
Le pénis, ou la main, les doigts, les lèvres, sont au viol ce que fusil à pompe, le revolver ou le couteau sont au braquage : une arme.