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Critique de Ode


Dans son excellente biographie, Laure Adler décrit "Le ravissement de Lol V. Stein" comme une oeuvre clé dans la production littéraire de Duras et explique son obsession pour le personnage de Lol V. Stein, qui reviendra ensuite dans plusieurs romans. Il n'en fallait pas plus pour me donner envie de le lire et je viens de profiter des rééditions célébrant le centenaire de la naissance de Marguerite Duras pour me le procurer.

Dans une Amérique un peu floue, l'histoire repose sur le bal du Casino municipal de T. Beach où la jeune Lola Valérie Stein se fait ravir son amoureux, le beau Michael Richardson, par une femme d'âge mûr : Anne-Marie Stretter. Comme envouté, il danse toute la nuit avec elle, sous les yeux de sa fiancée Lol V. Stein et de son amie du collège, Tatiana Karl.

Le "ravissement" symbolise à la fois le rapt de l'amoureux et l'hébétude de Lol devant cet événement qui la rend malade, d'abord prostrée, puis indifférente. Jean Bedford fait d'elle sa femme en sachant cela et l'emmène loin de S. Tahla. Il est prêt à assumer son comportement bizarre et semble ne l'en aimer que davantage. Avec ce mari musicien, trois enfants, une maison et un jardin impeccablement entretenus, la folie de Lol se cache pendant 10 ans sous une apparence de normalité.

Quand ils reviennent s'installer à S. Tahla après la mort des parents de Lol, celle-ci y retrouvre Tatiana Karl et le traumatisme du bal refait surface. Une douleur sur laquelle elle n'arrive pas à mettre un mot : « un mot-absence, un mot-trou », « le chien mort de la plage en plein midi ».

Chacun cherche alors à revivre cet épisode encore et encore, comme si l'on pouvait changer le passé. Employant une narration déstructurée, Duras reconstitue le parcours de Lol V. Stein sous les mots d'un autre : Jacques Hold, l'amant de Tatiana Karl, fasciné par Lol. Les tournures elliptiques, les phrases hachées qu'il faut parfois relire 2 fois pour comprendre, montrent l'impuissance du langage ordinaire à décrire un état mental ou à s'approcher de la vérité personnelle de chacun.

C'est un curieux roman : j'ai éprouvé à sa lecture une impression de malaise, à cause du style et de la folie larvée, du mélange d'amour et de voyeurisme. Et en même temps, j'admire la clairvoyance d'une analyse psychologique qui ne dit pas son nom et la justesse du ressenti des émotions. Ce récit a été écrit il y a 50 ans, il aurait pu l'être hier. L'indifférence de Lol ne peut laisser le lecteur indifférent.
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