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Critique de Luxi


Ce court roman nous dévoile quelques jours dans la vie d'une jeune franco-coréenne dont on ne connaît pas le nom et qui cuisine dans une vieille pension de Sokcho. Lorsque Yan Ferrand, dessinateur de bande-dessinée, arrive dans son beau manteau de laine, c'est le début d'un trouble qui ne sera jamais nommé.
A travers le regard intransigeant de cette jeune femme, on effleure l'intimité des rares pensionnaires, on explore leurs poubelles, on visite leurs regards, on traque leurs gestes et leurs demandes comme elle fouille le fugu, ce poisson au poison mortel. Et quelle tristesse autour de cette jeune femme, quel silence criard, quel vide, uniquement troublés par les apparitions de cet homme énigmatique qui porte en lui les décors de sa Normandie et de la musique de sa plume crissant sur le papier.
Dans cette histoire dont les paragraphes semblent raccourcir au fil des jours jusqu'à n'être plus que des souffles, ressort une froideur agressive et fière. C'est un texte épuré, fragile comme du papier de riz, qui sent la neige, la solitude, la mer, l'encre et l'espoir d'un matin plus intense. Par certains aspects, ce roman m'a rappelé le "Soie" d'Alessandro Baricco.
Chez Elisa Shua Dusapin, ça se frôle, ça hésite, ça fantasme, mais ça ne se rencontre jamais vraiment. Tout n'est que sous-entendus, mirages et rêveries qui jamais ne prennent corps. Aussi éphémère que l'encre qui se dilue ou qu'un flocon avalé par la mer, leur seul lien possible restera cette cicatrice qui sillonne la peau de la jeune femme…
Mais "Hiver à Sokcho" est aussi un texte dur et lucide qui nous parle des visages opérés de la Corée dans une recherche de perfection absolue, la guerre qui dure et la difficulté de l'artiste confronté à ses démons intérieurs. Les paroles sont rares, les décors assourdis et brumeux à l'image de ce Monet qu'évoque l'héroïne, dans cette pension où le temps semble s'être suspendu, retenant son souffle, espérant un éclat qui viendrait fendiller l'uniformité des jours.
C'est une voix très étrange que celle d'Elisa Shua Dusapin, distante mais minutieuse, entre froideur et pétillement, pudique mais parfois violente dans son regard sur la ville, l'hiver si froid qu'il en est douloureux, le corps que notre héroïne a tant de mal à peupler et tout ce qu'elle se refuse d'exprimer quotidiennement. C'est une écriture soignée qui s'économise, n'offrant que l'essentiel, comme ces deux êtres qui ne s'exprimeront ni ne se dévoileront jamais pleinement. C'est poétique tout en étant rêche, un flottement incessant entre rudesse et fragilité. Certaines phrases possèdent même l'impertinence et la beauté aérienne de vers libres.
Au final, c'est un petit livre qui ressemble à un haïku : fugace, dépouillé, gracile. Un grand merci aux éditions Folio pour ce joli roman tout en grâce et humilité que j'ai presque regretté de n'avoir pas lu en plein hiver, avec le froid craquant sur les joues et l'odeur des arbres enlisés par le gel.
Lien : https://luxandherbooks.wordp..
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