Après un premier tome classique sur le fond mais agréablement décalé sur la forme,
Nicholas Eames nous offre avec « Rose de sang » un deuxième volume qui reprend tous les ingrédients du précédent… en mieux ! Cette fois il n'est plus question de Saga, légendaire roquebande composée de mercenaires quelque peu décrépis, mais de Fable, un nouveau groupe formé par la fille de Gabriel, l'un des héros de « La mort ou la gloire ». le principe, en revanche, est toujours le même : une petite troupe hétéroclite de guerriers qui se retrouve confrontée à un bestiaire de fantasy relativement fourni et qui n'est pas sans laisser penser aux romans d'
Andrzej Sapkowski et à sa série « Witcher », le tout sur fond d'humour graveleux et de grandes batailles épiques à la Gemmell. Comme dans le tome précédent, l'essentiel de la saveur du roman provient de la comparaison volontairement assumée entre ces bandes de mercenaires affrontant des monstres et... des groupes de rock. Chaque « roquebande » enchaîne ainsi les tournées, les plus célèbres en étant suivie d'une cohorte de fans qui se pâment devant leurs idoles et adoptent à loisir leur coupe de cheveux ou leur style vestimentaire, tandis que les déplacements du groupe sont supervisés par un manager en charge de trouver de gros contrats. le contre-pied pris ici par l'auteur est toujours aussi amusant et fonctionne même mieux que dans le premier tome puisqu'on a affaire à un groupe au sommet de sa gloire, et non à des légendes sur le retour. Après les événements de Castia, la Rose de Sang a en effet acquis une aura extraordinaire qui lui a permis de refonder une nouvelle roquebande avec laquelle elle enchaîne les combats dans les arènes, désormais principal moyen utilisé par les groupes pour se faire connaître, ceux-ci ne s'aventurant plus guère dans le coeur du Wyld pour affronter des monstres sauvages. C'est dans ce contexte que l'on fait la connaissance de Tam, une jeune fille travaillant dans une auberge et dont le père, traumatisé par la mort de sa femme au cours d'un combat, lui a interdit de fréquenter toute roquebande que ce soit. Or l'adolescente ne rêve que d'aventure, et l'arrivée en ville de Fable va lui donner l'occasion de se faire embaucher en tant que barde pour la fameuse Rose de Sang et son groupe. Un job qui ne va pas sans certains risques et qui nécessite de parvenir à se faire une place dans cette bande de personnalités pour le moins originales.
D'un point de vue purement narratif, ce second tome de « Wyld » se révèle aussi classique que le premier, même si les ressorts traditionnels utilisés ne sont pas les mêmes. Difficile en effet de se départir lors de certaines scènes d'un sentiment de déjà-vu tant une partie de l'intrigue peut faire penser à des moments clés d'oeuvres comme « Le Hobbit » de
Tolkien ou, plus récemment, « Game of thrones » de Martin. Et pourtant… Pourtant même les lecteurs acharnés de fantasy, dont je suis, ne manqueront certainement pas de prendre plaisir à suivre les aventures de Fable. Pourquoi ? L'humour, d'abord. Certes, l'auteur cultive un certain goût pour le potache qui peut, de temps à autre, rater sa cible, mais dans l'ensemble il faut admettre qu'on se marre bien à la lecture de ce second tome. Les dialogues sont percutants, les répliques cinglantes fusent et l'auteur se révèle particulièrement doué pour souligner le comique d'une situation, même dans un moment tragique. L'alchimie qui règne au sein des membres du groupe figure également parmi les raisons qui rendent la lecture aussi agréable. Il faut dire que
Nicholas Eames a réuni ici un casting haut en couleur ! Il y a d'abord bien sûr la Rose de Sang, cheffe charismatique du groupe qui n'hésite pas à faire preuve d'une grande témérité au combat mais possédant de nombreuses failles habilement exploitées par l'auteur qui accorde à nouveau une grande importance aux questions de filiation et de liens maternels/paternels. Son compagnon, Nuage Libre, est plus effacé mais sa tempérance et sa bienveillance apportent beaucoup au récit, de même que celle de Brune, sorte de gros nounours impressionnant au combat (il est capable de se changer en ours, justement) mais d'une grande gentillesse et d'une certaine candeur en dehors. Cura, est sans doute la plus complexe et torturée de tous et ne manque pas de s'attirer la sympathie du lecteur, à la fois par ses talents d'invocatrices mais aussi par son ton mordant et provoquant. Et puis il y a Tam, la novice, qui nous sert ici d'introduction dans le petit univers de Fable dont elle découvre en même temps que nous l'histoire, le fonctionnement et les faiblesses. Fort sympathique, l'adolescente suscite immédiatement l'empathie grâce à un mélange de maladresse et de débrouillardise qui lui permettent de vite trouver sa place dans le groupe. Les personnages secondaires ne sont pas en reste et, s'ils ne bénéficient pas d'un développement très fouillé, n'en demeurent pas moins marquants car efficacement caractérisés par l'auteur qui multiplie les figures atypiques : le manager ivre les trois quart du temps et qui ne prend rien au sérieux, l'archère qui passe son temps à dépouiller ceux qui croisent sa route, le sorcier qui se ballade en permanence avec ses ours-hiboux… Tout ce petit monde participe à rendre l'univers plus consistant et surtout plus distrayant, la plupart se livrant à des sortes de caméo tout au long du récit.
Parmi les arguments en faveur du roman figurent également les réflexions de l'auteur concernant la moralité des combats de ces roquebandes, un aspect déjà présent dans le premier tome mais qui m'a semblé un peu plus exacerbé ici. Loin de se contenter de dépeindre une succession d'affrontements opposant de courageux guerriers et des monstres repoussants, l'auteur donne une profondeur supplémentaire à son récit en faisant s'interroger nos héros sur le bien fondé de leur activité et surtout sur la nature même des créatures auxquelles ils s'opposent. Ainsi, bien que les trolls, manticores, worgs, gobelins, gorgones et autres créatures du Wyld dont il est fait mention ici ne servent effectivement bien souvent que de chair à canon, cela n'empêche pas les personnages de souligner l'injustice de leur traitement et de se questionner sur les véritables raisons qui poussent ces monstres à s'en prendre aux humains. Bon, ça ne va pas beaucoup plus loin mais c'est déjà un pas qui permet au récit de se démarquer d'autres histoires de ce type qui se limiteraient au côté « combats bourrins ». du combat il y en a, pourtant, et du beau ! Grossièrement on pourrait dire que les scènes de bataille de « Wyld » sont un mélange entre du Gemmell pour le côté épique capable de donner des frissons, et du Abercrombie pour le côté absurde de certaines situations (un archer qui foire complètement son coup ou qui se trompe de cible, par exemple…). L'équilibre entre l'humour et l'épique n'est pas aisé à maintenir mais l'auteur s'en sort remarquablement bien, ce qui donne lieu à des passages vraiment chouettes pour les amateurs de « fantasy guerrière ». Les caractéristiques propres à chaque membre de Fable participent également à rendre les combats plus intéressants, que ce soit à cause de leur manière originale de se battre (la transformation en animal pour Brune, l'invocation pour Cura…) ou en raison de l'utilisation d'armes spécifiques qui permettent des retournements parfois spectaculaires.
Pari réussi pour
Nicholas Eames qui signe avec « Rose de sang » un second tome parvenant à se hisser un cran au dessus du premier. Bien que mieux exploités, les ingrédients n'en demeurent pas moins toujours les mêmes : une bonne dose d'humour, beaucoup de baston, un peu de réflexion, et surtout une mise en parallèle incroyablement amusante entre groupes de mercenaires et groupes de musique. Un vrai régal !
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