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Critique de Apoapo


Comment me positionner devant un essai qui m'a beaucoup appris, qui m'a fait intensément réfléchir, dont la densité et l'envergure ont été autant un fardeau qu'une vraie source de satisfaction, dont j'approuve la plus grande partie des contenus, dont j'admire la méthode comparatiste mais réprouve fortement la thèse et les conclusions ?
À la fin de l'introduction (cf. cit. 2) l'auteur affirme que la question fondamentale n'est pas de savoir quelle est la cause des pathologies psychosociales, et le fil rouge de sa démonstration consiste à affirmer que la recherche d'une cause sociale et politique à une certaine souffrance psychique est une erreur épistémologique franco-française liée, pour faire vite, à notre antilibéralisme. L'usage d'une psychanalyse qui, selon l'orthodoxie freudienne (tardive puisque issue du Malaise dans la civilisation (1929) qui, nous le savons, dérivait d'une polémique avec Wilhelm Reich...), sert à soigner des pathologies d'origine strictement individuelle et non sociale (la psychologie sociale ne fonctionnant que « par analogie »...) pour appréhender des maladies psychiques qui, de toute évidence, sont corrélées avec le néolibéralisme et particulièrement avec l'évolution de la notion d'autonomie, serait pour l'auteur abusif et culturaliste, c-à-d. lié à des contextes nationaux, issus de leur propre histoire intellectuelle, ainsi que des contingences économiques, politiques, et de réception et pratique de ladite psychanalyse. de surcroît, la critique du néolibéralisme comme idéologie entraînant la destruction des liens sociaux impliquerait nécessairement un passéisme réactionnaire nostalgique d'une société hiérarchique – l'individualisme serait opposé à la hiérarchie – ainsi qu'un utopisme paralysant s'opposant à une conception pragmatique de la politique qui consisterait à résoudre des problèmes concrets par des actions spécifiques.
Or la clinique est là. Aussi bien en France qu'aux États-Unis, et malgré une compréhension parfois opposée que l'on a dans ces deux pays des problématiques de l'autonomie, de la liberté, de l'égalité, de l'individualisme, les psychopathies narcissiques se sont multipliées depuis les années 1980... Et les maladies psychiques, quel que soit la qualification qu'on leur donne – malaises, psychopathies sociales, etc. – appellent une quête de sens et une étiologie, de la part des patients comme des thérapeutes et de la société tout entière. Donc, si, la question fondamentale demeure celle de l'origine des maladies psychiques. L'anthropologie des sentiment et en particulier de la souffrance de David le Breton, dont je découvre qu'elle provient à l'origine de Marcel Mauss (1921), l'ethnopsychiatrie de Tobie Nathan et d'autres centres d'intérêts miens m'ont habitué à une perspective très ouverte dans la recherche du sens que les civilisations associent justement aux troubles mentaux. Je suis donc ravi qu'un tel exercice d'anthropologie comparée, concernant la France et les États-Unis, ait été effectué de façon aussi approfondie dans ce volume.
Je suis simplement perplexe qu'un sociologue qui s'est si longuement occupé d'addictions, phénomène s'il en est où l'impasse ne peut être faite sur les causes sociales de la pathologie « comportementale », qui est l'auteur d'une bibliographie dont tout laisserait penser qu'elle est fondée sur la causalité sociale des psychopathologies, dont le dernier essai ne m'a pas donné l'impression d'un tel refus de critique du libéralisme... semble avoir opéré, dans cet ouvrage-là, un étrange revirement... Je pense en particulier à son essai : La Fatigue d'être soi – Dépression et société (1998) ; voici ce qu'on peut lire dans la note n° 78 p. 276 de la société du malaise, dans le contexte de l'analyse du caractère pathogène du capitalisme néolibéral par l'auteur allemand Axel Honneth dont l'auteur prend ses distances : « Honneth fait très aimablement référence à mes travaux et je lui dois la traduction en allemand de mon livre sur la dépression pour laquelle il m'a honoré d'une préface. Il y a un malentendu, sans doute dû à des formulations hâtives de ma part, qui porte sur le point suivant : les symptômes ne sont pas causés par la société, selon moi, alors que Honneth pense l'inverse. » Cela mérite d'aller voir dans ce très célèbre ouvrage si je commets la même bévue que Honneth ou bien si Ehrenberg était à l'époque moins libéral qu'en 2010...



Table [avec quelques commentaires et renvois aux cit.]

Introduction : « Le tournant personnel de l'individualisme : malaise dans la civilisation ou changement de l'esprit des institutions ? » :

- L'autonomie et la subjectivité : sociologie individualiste et sociologie de l'individualisme. [La problématique de la souffrance psychique est liée à la représentation de l'autonomie, laquelle n'est pas universelle, mais liée à un discours psychologique, d'Histoire intellectuelle, sociologique contextualisé. Cf. cit. 1]
- Domaine d'enquête : les pathologies de l'idéal
- Démarche : la manière américaine et la manière française de nouer afflictions individuelles et relations sociales troublées
- Les sujets qui fâchent : problèmes de vérités et problèmes de critères [cf. cit. 2]

Première partie : « L'esprit américain de la personnalité » :

Chap. Ier : « L'inquiète confiance du self : de l'individualisme moral au caractère américain » :

- Puritanisme, libéralisme, romantisme : la triple fondation du self américain [Tour d'horizon d'Histoire intellectuelle américaine].
- La première crise de l'individualisme américain : personnalité, psychologie, psychothérapie. [Histoire de la réception de la psychanalyse en Amérique et de son évolution. Cf. cit. 3]

Chap. 2 : « L'ego psychodynamique de la psychanalyse américaine » [Approfondissements sur la psychanalyse américaine] :

- Retour en Europe : le modèle de la névrose est-il suffisamment bon ?
- La Psychologie du Moi ou le retour à Freud de la psychanalyse américaine

Chap. 3 : « D'Oedipe à Narcisse : la crise de la self-reliance » [Quand de nouvelles formes de souffrance psychique émergent aux États-Unis et comment elles sont appréhendées : épidémiologie, épistémologie, sociologie et sa critique] :

- La jérémiade américaine ou les habits neufs de l'ascétisme puritain
- La forme américaine de l'inquiétude individualiste [cf. cit. 4 et 5]


Seconde partie : « L'esprit français de l'institution » :

Chap. 4 : « Le sujet de la psychanalyse française » :

- Les exemplaires complexes de Lacan : psychologie collective ou sociologie ? [Comment la psychanalyse lacanienne peut être « détournée » en une psychologie collective que l'auteur conteste]
- Les pôles du débat psychanalytique français
- La psychanalyse française comme métasavoir : profession, culture de masse, politique [La fortune du paradigme psychanalytique en France, ses questions professionnelles et son intrication politique. Cf. cit. 6]

Chap. 5 : « De l'autonomie comme aspiration à l'autonomie comme condition » :

- de l'individualisme politique à la société individualiste (1789-1980) [L'individualisme fondé par la Révolution, dans la pensée politique française et dans son Histoire intellectuelle]
- le virage vers la subjectivité ou l'alliance du thérapeute et de l'entrepreneur [Sur le nouvel esprit d'action. Cf. cit. 7]

Chap. 6 : « Le malheur de l'horizontalité ou les habits neufs de l'idée républicaine » :

- Un monde sans limites [Freud qui se méfia de la psychanalyse sociale – comme l'auteur – n'est pas écouté en France où l'on verse dans la « psychanalyse du lien social » et l'on opère un « glissement du pathogène au normatif ». Cf. cit. 8]
- La crise du symbolique et le déclin de l'institution : la société perd-elle son autorité ? [Problématique de la perception du déclin de l'institution, contestée par l'auteur. Cf. cit. 9]

Chap. 7 : « Le travail, la souffrance, la reconnaissance » [Le travail, premier cas d'étude de la souffrance sociale en France] :

- La dénonciation passionnée : le juste et l'injuste [Critique de l'auteur, d'après Arendt, de la « compassion », comme réponse à la souffrance au travail, et problème de la reconnaissance comme source de malaise]
- La matière de l'action : la qualité de vie, le stress et le risque psychosocial

Chap. 8 : « La précarisation de l'existence : les nouvelles donnes de l'inégalité entre santé mentale et politique » [La précarité et les malaises de l'activation, second cas d'étude de la souffrance psychique] :

- La clinique psychosociale : restaurer la puissance d'agir face au malheur néolibéral [cf. cit. 10]
- La crise américaine de la pensée sociale française [cf. cit. 11]

Conclusion : « Les affections électives ou l'attitude individualiste face à l'adversité »

- Libéralisme américain et antilibéralisme français
- Pour bien comprendre l'individualisme penser d'abord hiérarchie
- La santé mentale, un traitement individualiste des passions.
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