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Critique de colimasson


Si le sacré s'oppose au profane, alors l'état de l'homme areligieux est profane. Dans cet essai, Mircea Eliade a accompli un miracle théologique : condenser et trouver le dénominateur commun des croyances de tous temps et de tous lieux.


Le sacré surgit sur trois dimensions –dans les emplacements géographiques- mais aussi sur quatre dimensions –sur la courbe du temps. Il implique une dimension cosmique en conférant à l'homme religieux une importance directement liée au rôle que la nature lui attribue, et lui enseigne une histoire de la vie et de la mort qui prend sens face à l'absurde de celui qui a fait mourir ses dieux. La démarche de Mircea Eliade est d'ailleurs inconsciemment areligieuse : suggérer que le profane existe au même titre que le sacré, n'est-ce pas lui accorder une légitimité au moins égale ? Pourtant, le cheminement emprunté par Mircea Eliade oppose le sacré et le profane dans un combat inégal qui fait la part belle au sacré. Après en avoir exposé les différentes modalités, après avoir évoqué certains exemples des manifestations religieuses différemment rencontrées dans le monde et dans le temps, Mircea Eliade expose l'attitude de l'homme areligieux. Malgré une apparence de libération et d'intégrisme intellectuel, tout n'est que perte et désolation pour l'homme rendu à son monadisme primordial. Se détacher de dieu nécessite de se détacher de la communauté –qu'elle soit famille, village ou humanité-, du foyer, de la nature et du confort. Face à l'homme moderne rongé par ses nouvelles angoisses existentielles, l'homme nourri au sacré cesse de sembler naïf et crédule. Il paraît au contraire avoir déjà réussi à comprendre ce qui motive l'homme areligieux d'abandonner toute croyance, mais il possède en plus le savoir qu'il ne se suffit pas à lui-même pour surmonter le néant. En posant sur le monde une grille d'interprétation religieuse, Mircea Eliade semble vouloir nous montrer que le croyant transcende la réalité. le sacré étant le lieu et le moment de manifestation du réel, l'homme religieux gagne la possibilité de vivre avec une conscience augmentée de sa propre réalité.


« Une existence « ouverte » vers le Monde n'est pas une existence inconsciente, ensevelie dans la Nature. L' « ouverture » vers le Monde rend l'homme religieux capable de se connaître en connaissant le Monde, et cette connaissance lui est précieuse parce qu'elle est « religieuse », parce qu'elle se réfère à l'Être. »


Une autre hypothèse concernant le positionnement de Mircea Eliade quant au sacré et au profane se profile lorsqu'on se réfère à la culture et à la contre-culture qui, comme Pierre Bourdieu l'avait déjà fait remarquer, ne sont que l'opposition d' « une culture à une autre », d'une culture « dominée » à une culture « dominante » -ainsi pourrait-on dire que le sacré et le profane sont des religions tantôt dominées, tantôt dominantes, l'homme intégralement areligieux (ne croyant même plus qu'il ne croit en rien) n'existant pas. En reconnaissant cette fatalité, Mircea Eliade semble toutefois se diriger vers cet athéisme paradoxal qui s'affirme lorsqu'on reconnaît l'impossibilité de son existence.


Extrêmement court et accessible, le sacré et le profane s'inscrit dans un vingtième siècle marqué par la mort des dieux. Si les exemples du sacré proviennent de sources variées, les exemples du profane proviennent presque exclusivement du monde contemporain à Mircea Eliade. L'essai devient tragique : l'homme s'imaginant devenir moderne en se montrant areligieux se coupe de tout contact réel avec autrui, la nature et le monde. En réalité, il ne devient jamais complètement areligieux et transmet sa foi à d'autres systèmes « athées ». En ne conservant que ce qu'il y a de pire dans le sentiment religieux (le dogmatisme, le fanatisme) et en éliminant ce qu'il y a de meilleur (la communion, le sens), cette nouvelle religion athée semble vouée à l'autodestruction. Mais peut-être n'est-ce là que la reviviscence du mythe de l'éternel retour ? …

Lien : http://colimasson.over-blog...
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