Cet été-là, 67 956 rapatriés débarquent dans la région Midi-Pyrénées. C’est beaucoup moins qu’à Marseille, où 450 000 pieds-noirs affluent par l’aéroport de Marignane et par la mer. Chaque jour, les paquebots, cargos, navires-citernes, et même les chalutiers, déversent des milliers de pauvres gens. Face à cette marée humaine, les pouvoirs publics sont dépassés.
« Celui qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas non plus où il ira », dit un proverbe algérien.
- Y a toujours des individus pour se faire de la monnaie sur le malheur des autres, dit Marcel à ses fils avant d’éteindre la lumière. Quand vous serez de grandes personnes, je veux pas que vous soyez du côté de ces gens-là.
Viviane ne pouvait pas toujours prétexter qu'elle était indisposée. Mais si elle avait su ce que c'était vraiment, le devoir conjugal, les enfants dont on doit accoucher et qui ensuite aspirent votre vitalité, les comptes faits au centime dans un grand cahier à spirale, et maintenant le mutisme de son mari, elle serait restée vierge jusqu'au tombeau.
J’ai rangé les archives familiales dans la valise à roulettes, trié les livres, inventé là où aucun document, aucun mot de mon père ou de mes proches, ne confirmait mes hypothèses ni ne comblait les blancs.
Le sentiment de l'exil ne l'a jamais quitté, un creux au niveau du plexus, une douleur vive qui, parfois seulement, s'estompe.
Ils n'étaient pas des aventuriers, ne cultivaient pas le rêve américain. La Californie, c'était ici, dans cette plaine couverte d'oranges et de pamplemousses qui dégorgeaient de sucre au moment des récoltes. Ils ne rêvaient pas d'une autre terre promise.
Il finit par oublier qu'il l'a parlé couramment autrefois, que c'était sa langue maternelle, celle de l'amour et des émotions de ce qu'on ne peut dire autrement.
Marcel et Viviane était de la première génération de juifs, en Algérie, à s’assimiler par des prénoms passe-partout d’Européens. Ils avaient donc choisi pour leurs enfants des patronymes bien français, comme les leurs.
On me disait : "Tu ne seras ni la première ni la dernière", comme si le malheur des autres pouvaient diminuer mécaniquement le mien.