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Critique de HordeDuContrevent


« Mettez un homme face à la fin de sa vie, placez-le dans un endroit comme le couloir de la mort, et peut-être que Dieu lui accordera une petite grâce. La grâce du souvenir. »

Daniel Ford fait partie de ces quelques personnages de roman qui accompagnent à jamais leur lecteur une fois le livre refermé. Il faut dire que Ellory parvient à lui donner une réelle et magnifique profondeur, il est impossible de ne pas s'attacher à cet homme qui vit ses dernières semaines dans les couloirs sordides de la mort après douze ans d'emprisonnement, accusé d'avoir tué son frère de sang, Nathan Verney, jeune afro-américain. Il ne fait pas bon être noir dans les Etats-Unis des années 60, ni être ami avec un noir d'ailleurs. Daniel paie le prix cher pour cette amitié, amitié indéfectible depuis que les deux garçons ont six ans. Et tout a commencé avec un partage, le partage d'un sandwich au jambon…

« le petit gosse noir qui est arrivé ce vendredi après-midi était le gamin le plus drôle que j'avais jamais vu. Des oreilles comme des anses de cruche, des yeux comme des feux de signalisation et une bouche qui lui fendait le visage d'une oreille à l'autre ».

La structure narrative alterne entre le passé et le présent.
Entre l'odeur semblable à la brise du Lac Marion en Caroline du Sud, odeur « de tarte à la noix de Pécan et soda à la vanille, le tout enveloppé dans un parfum d'herbe fraîchement tondue », et celles de la prison, mélange infâme et écoeurant de détergent bon marché, de nourriture en train de pourrir, de poussière, de déjections, et de tous les fluides imaginables qu'un homme peut secréter. Entre les doux et rassurants effluves de l'insouciance et les relents, âcres, de la peur. le passage éclair de la chair fraiche à la viande morte ambulante…

Deux histoires entrelacées, telles les deux ailes d'un papillon battant frénétiquement vers la lumière avant l'embrasement.
L'une, actuelle, montre Daniel Ford dans le couloir de la mort attendant son exécution dans quelques semaines. Il fait ses dernières confessions au Père John Rousseau, la purification de son âme le disputant au besoin de se livrer, exutoire comme piètre consolation avant l'entrée en enfer. Quoique l'enfer, il y a déjà mis un pied vu ce que lui fait subir le sadique M.West, chef de la section D, patron du couloir de la mort, qui aime harceler et torturer psychologiquement les candidats à l'électrocution.

« Certains ici pensent qu'il n'est pas né de parents humains. Certains types ici croient qu'il a été engendré dans un bouillon de culture au MIT ou quelque chose du genre, au cours d'une expérience dont le but était de créer un corps sans coeur ni âme ni grand-chose d'autre. C'est un homme sombre ».

L'autre, dans le passé, met en valeur l'histoire vécue par Daniel une dizaine d'années avant le drame, avant qu'il ne soit emprisonné pour le meurtre de son meilleur ami.

Ce livre est une poignante réflexion sur la peine de mort, sur ces couloirs de la mort dans lesquels les accusés passent un certain nombre d'année avec toujours cette épée au-dessus de leur tête qui les coupera en deux forcément, mais sans savoir quand, des années ainsi à attendre et errer, deux étages au-dessus de l'enfer. Cela peut arriver n'importe quand. Cela rend le temps des condamnés à mort relatif, à la fois long et court, irréel, entrecoupé par quelques espoirs soudains qui tombent tout aussi vite qu'ils sont advenus…Et que dire lorsque les personnes sont innocentes…Seuls les souvenirs sont à la fois des échappatoires mais aussi de cruels rappels à la liberté perdue.

Bien entendu, part belle est faite sur le racisme et la ségrégation raciale dans ces années marquées par le combat de Martin Luther King.
Mais ce livre va plus loin, il est également un documentaire - parfois un tantinet long - sur les Etats-Unis des années 60, une décennie totalement folle, marquée par la boucherie de la guerre du Vietnam, sur fond de drogues, de rock'n roll, d'affaires politiques comme les meurtres de deux Kennedy ou le Watergate de Nixon, de l'envolée de stars emblématiques comme Marylin Monroe ou Elvis Presley, de croissance économique solide permettant des prouesse scientifiques incroyables comme celle d'envoyer un homme marcher sur la lune…Et malgré tout une décennie toujours marquée par le racisme envers les personnes de couleur comme le prouve l'ascension, très bien expliquée dans ce livre, du Klux Klux Klan.

L'intrigue, autant le dire, passe en fait au second plan. Je crois que j'ai compris assez vite si Daniel était coupable ou pas. Là n'est pas le coeur du roman. Ce que j'ai trouvé incroyable, c'est cette manière, si fouillée, si approfondie, qu'a Ellory de décrire la psychologie de ses personnages et l'âme humaine. Et cela au moyen d'une plume d'une finesse inouïe et d'une beauté renversante. Les scènes du passé, scènes de liberté et d'insouciance sont d'une poésie sublime, la nature est magnifiée, les scènes d'amour enchanteresses nous subjuguent, lorsque celles du présent sont d'un réalisme glaçant et abject. L'auteur réussit ainsi à alterner sans arrêt le chaud et le froid pour mieux faire sentir à son lecteur le tragique de la situation.

« Un esprit étiré par une idée ne retrouve jamais ses proportions originales.
Mon esprit était étiré. Il ne serait plus jamais le même.
Le monde était fou. Nous l'avions su en Floride, quand nous avions entendu parler des dizaines de milliers de morts d'une guerre lointaine, qui n'avaient ni raison ni sens».

Et dire que ce roman fort et émouvant, cette ode à la liberté, à l'intégrité, à l'amitié et à l'amour est le premier roman de l'auteur…Il me tarde de poursuivre ma découverte de cet auteur anglais !

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