Citations sur Papillon de nuit (88)
Une fois que vous arrivez ici, vous n’en ressortez jamais. Les couloirs sont suffisamment larges pour trois hommes côte à côte, un au milieu, un gardien de chaque côté. Les murs sont peints en une nuance vague à mi-chemin entre le gris et le vert, et les noms, les dates et les messages d’adieu gravés dessus traversent la peinture jusqu’aux briques en dessous. Ici nous sommes tous innocents. Revenu du Vietnam pour arriver en enfer. Dites à M que je l’aime. Ce genre de choses. Les pensées désespérées d’hommes désespérés.
Et finalement l’odeur. Elle ne vous quitte jamais, même si ça fait une éternité que vous jouez à ce petit jeu. Elle vous saute aux narines chaque fois que vous vous réveillez, comme si c’était la toute première fois. Un mélange de Lysol et de détergent bon marché, les relents de la nourriture en train de pourrir, une puanteur de sueur, de merde et de sperme et, quelque part en dessous, l’odeur de la peur. De la futilité. Des hommes qui baissent les bras et s’en remettent à la justice d’une nation. Broyés par la main du destin.
Kennedy avait un jour dit : Il n’y a pas de stèles blanches ou de couleur dans les cimetières militaires. Et c’était l’impression qu’on avait ce 22 novembre. Aucune division entre Blancs et Noirs dans notre chagrin.
En mai, le boxeur Mohamed Ali a été inculpé pour avoir refusé d'aller à l'armée. C'était un signe. Il était noir. Il était célèbre. Mais ils pouvaient toujours lui botter le cul.
N.D.L. : 1967, Guerre du Vietnam.
Tout en lui est noué. Je ne sais pas comment l’exprimer autrement. Noué comme les lacets des chaussures du dimanche. Ses manières, ses paroles, ses tenues, tout est précis et méticuleux. Le pli de ses pantalons pourrait couper du papier. Regardez ses chaussures et vous voyez votre reflet. La blancheur de son col est surnaturelle, une blancheur céleste, comme s’il allait chaque soir s’acheter une chemise en ville, puis, une fois rentré chez lui, la frottait jusqu’au matin avec du Lysol et du bicarbonate de soude. Peut-être qu’il croit que la blancheur de son col compense la noirceur de son cœur.
Le monde était fou. Nous l'avions su en Floride, quand nous avions entendu parler des dizaines de milliers de morts d'une guerre lointaine, qui n'avaient ni raison ni sens.
Il devenait de plus en plus difficile de trouver un point d'ancrage.
Je me réconfortais un peu en me disant qu'il y avait une raison à tout.
Dommage que personne ne m'ait dit laquelle.
Tu dois être là ou tu es, et être avec la personne qui est avec toi....et si tu n'y arrive pas , alors où que tu sois, et quelle que soit la personne qui est avec toi , tu seras toujours tout seul...
L'idée était cependant là, et comme quelqu'un l'avait dit un jour, un esprit étiré par une idée ne retrouve jamais ses proportions originales.
P.357
Comme mon père me l’a dit un jour : Les gens ne regrettent jamais vraiment ce qu’ils ont fait, seulement ce qu’ils n’ont pas fait.
Dans une certaine mesure, ma propre vie avait commencé à refléter la vie de la nation. Quand je croyais que ça ne pouvait pas être pire, ça empirait. Quand je croyais qu'il ne pouvait pas y avoir d'ombres plus noires, une noirceur plus profonde se révélait.
Et c'est dans cette noirceur que je suis tombé : boum, comme une pierre.
Quatre fois j'ai été trahi - deux fois par des femmes, une fois par le meilleur ami qu'un homme puisse désirer, et finalement par une nation. Et peut-être, à vrai dire, me suis-je trahi moi-même. Alors, ça fait cinq.
Mais malgré tout, malgré tout ce qui s'est passé à l'époque, et tout ce qui se passe maintenant, ça a tout de même été magique.
Absolument magique.
Je m'en souviens avec une clarté et une simplicité qui même moi me surprennent. Les noms, les visages, les sons, les odeurs.
Tout.
Ça semble presque bizarre de se rappeler les choses avec une telle netteté, mais bon, ça tient peut-être à ma situation présente.
Mettez un homme face à la fin de sa vie, placez-le dans un endroit comme le couloir de la mort, et peut-être que Dieu lui accordera une petite grâce.
La grâce du souvenir.
(Incipit)