Avant tout, précisons que «
Les filles de Roanoke » n'est pas un thriller, contrairement à ce que certains commentaires pourraient laisser penser : c'est en partie un polar, et en partie un roman noir (enfin, noir, pas trop, quand même). L'accroche est prometteuse. Dans le domaine de Roanoke, isolé au fin fond d'une Amérique très profonde écrasée par le soleil (thème rebattu), vivent Papi et Mamie, les riches propriétaires, en compagnie de leurs filles et petites filles. Comment ça, pas d'autre homme ? Pas de père en vue ? Ben, non, mais qu'est-ce qu'elles sont belles ces femmes, et qu'est-ce qu'elles se ressemblent… Ceci dit, elles ont de mauvaises habitudes : elles meurent bizarrement, parfois à peine nées, et disparaissent ou déguerpissent en vitesse de cette paisible maison. Certaines boivent sec, d'autres sombrent dans la névrose, d'autres encore sont quelque peu perturbées.
Au quart du roman, le lecteur, qui a déjà les cartes en main, a compris ce qui se passe, et le soufflé commence à fléchir. Embêtant, pour un texte de 400 pages. A partir de là, l'édifice romanesque ne repose plus que sur l'atmosphère de secte de la tribu de Roanoke, sur l'omerta qui entoure le secret de Polichinelle, et sur une certaine oppression malsaine qui règne sur les lieux. C'est peu.
L'héroïne, Lane, a beau essayer de se donner des allures de peau de vache, héritées d'une enfance perturbée, elle reste une simple nunuche. Elle traîne à gauche et à droite dans la propriété et dans le patelin voisin (minable comme il se doit), avec Papi qui lui apprend à conduire, avec Allegra, sa cousine délurée, avec quelques gars de sa connaissance.
Cependant, Lane réfléchit, elle analyse ses sentiments, et même ceux des autres tant qu'elle y est : là, nous ne sommes pas loin du naufrage, noyés dans de multiples répétitions qui font penser à un disque rayé, et dans une psychologie de supermarché. Mais Lane, reine de l'anatomie, est aussi très attentive à ses organes. C'est ainsi que nous avons droit à une avalanche de références à son estomac (perturbé par tout l'alcool qu'elle descend, transpercé par les flèches de son déjeuner), sa langue acide (encore la gnôle, ou une soi-disant découverte), sa gorge rugueuse (la poussière, la sécheresse, les évènements…), et son ventre, ah, là, là, son « ventre brûlant » (là, c'est quand elle retrouve son petit ami). Ca s'arrête là : il ne faudrait pas effaroucher les bonnes gens. Cette tendance faux-cul se prolonge dans le comportement de Lane qui se soûle sans vergogne, mais, par exemple, ne se drogue pas (il y a des limites à ne pas dépasser, quand même).
Et puisque nous arrivons sur le terrain du style, autant dire tout de suite qu'il est calamiteux et totalement inadapté aux situations décrites (au moins dans sa version traduite, hérissée de fautes de syntaxe). Il y a bien quelques jurons et insultes par-ci par-là, pour faire un peu moderne, mais le mot le plus cru que l'auteure s'autorise est « baise ». de quoi s'effondrer quand on s'est frotté au style rugueux et naturaliste de Gillian Lynn évoquant des situations calamiteuses semblables (voir par exemple « Les Lieux sombres »).
Tentative désespérée, sur la fin du roman, pour réveiller le lecteur : Allegra a disparu ! Et on ne la retrouve pas ! Mais que fait la police ? Des recherches, des battues… Il n'y a qu'un seul plan d'eau à Roanoke, mais personne ne pense à aller le draguer… A pleurer.
Bref, une idée a priori intéressante, que l'auteure s'avère impuissante à développer tout au long d'un roman. Une novela eût été plus adaptée. Un beau crash littéraire.