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Critique de Palindrome1881


Je n'ai jamais été emballée par le style d'Ernaux mais, Prix Nobel oblige, je me suis dit qu'il était temps de choisir dans la PAL une de ses oeuvres pas encore lue.
C'est l'Evénement qui est sorti. le style froid, littéralement chirurgical, dénué de sentimentalisme voire d'émotions est plutôt adapté au récit de son avortement en 1963. le lecteur ne s'apitoie pas sur le sort de cette jeune fille devenue femme au moment de l'écriture ( 1999). Parce qu'elle assume entièrement son choix. La démarche est précaire, rien n'est organisé dans la société pour aider les femmes, le mot avortement n'est pas prononcé, on trouve la faiseuse d'anges par le bouche à oreille et cette dernière opère avec les moyens du bord, souvent par cupidité plutôt que par conviction. Bref, Ernaux dépose sur la page blanche son expérience brute : elle parvient à ses fins avec l'aide d'une copine, paie 400 francs l'intervention qui n' aboutit pas immédiatement car c'est à la cité universitaire qu'elle verra, sous ses yeux et entre ses mains, le dénouement. Elle clôt son parcours de femme interrompant volontairement une grossesse à l'Hôpital Dieu après une hémorragie. Il n'y a pas l'ombre d'un regret ni d'un remord, pas non plus de fatalisme mais un existentialisme pur et dur: cette jeune femme déterminée fait ce qu'elle pense devoir faire pour son bien, prenant à bras le corps sa vie, son indépendance, sa volonté, elle y met toute son énergie. C' est comme une parenthèse, une ellipse puisqu'elle reprend son mémoire de maîtrise là où elle l'avait arrêté, elle se sent différente, seulement différente.
N'invitant pas le lecteur à la compassion ou l'empathie, nous ne sommes que les témoins de son choix et ses actes, on peut à peiner les juger qu'on soit pour ou anti, là n'est pas le propos, on est face à une personne libre qui regarde sa vie en face. J'ai trouvé cette manière extrêmement bien choisie pour parler de ce thème.
Ce livre permet certainement de mieux comprendre l'intérêt de la loi Veil en 1975. D'ailleurs ce récit doit être assez proche de ceeux des femmes de cette génération qui ont été utiles à Veil pour mener l'enquête et défendre avec vigueur son projet de loi, devant un parterre d'hommes totalement déconnectés des réalités féminines en France (réalités populaire, ouvrière, rurale aussi bien que bourgeoise et citadine). Les archives sont criantes de vérité.
Repensant à l'année d'écriture de ce roman, 1999, je me suis soudain souvenue qu'à cette époque, des commandos anti ivg intervenaient encore dans certains hôpitaux de France, les salles d'avortement étaient encore parfois tenues "secrètes". C'est dire si la question reste épineuse, il n'y a qu'à voir l'actualité transatlantique.
En 2022 la prise en charge des femmes semble plus humaine, et moins tabou (j'écris seulement "moins" car un documentaire france culture passé récemment sur les ondes montre bien que l'ivg n'est toujours pas sans faire de remous).
Pour conclure, j'ai beaucoup aimé ce roman, même si je reste un lectrice très distante d'Ernaux. Toutefois j'attends avec une certaine impatience son discours à Stockholm, dans quelques semaines...Peut être aura-t-elle un message pour Camus dont le discours de Suède figure parmi ceux que je préfère.
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