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Critique de cprevost


Le mouvement antiraciste « Black Lives Matter », né en 2013, a gagné en importance après le meurtre de Georges Floyd par un policier à Minneapolis le 25 mai 2020. Percival Everett écrit et publie son roman « Châtiment » dans ces années-là. Aussi, il se souvient qu'avant cela des milliers de Noirs ont été lynchés (au moins 3446 entre 1890 et 1968 selon Tuskegee Institute), que des milliers d'autres ont été tranquillement assassinés, abandonnés dans des comtés isolés et que plus fréquemment encore des milliers de « chasses aux nègres » (nigger hunts) par des bandes (posses) se sont organisées à la poursuite d'innombrables Noirs.


« Châtiment », mélange de comédie et d'horreur, reprend avec un savoir-faire certain les codes du genre policier. Les chapitres y sont courts et absolument répétitifs, les dialogues enlevés et ironiques, le suspens inexistant mais sans importance aucune. A Money – Mississipi – Mama C repense, en guise d'introduction, à une mauvaise action qu'elle a commise il y a bien longtemps et qui a coûté la vie à un adolescent (lynchage d'Emett Till en 1955). L'histoire s'apprête alors à faire un long retour de quelques centaines de pages. le fils de Mama C est retrouvé assassiné et châtré en présence d'un improbable homme noir, mort lui aussi et tenant le fameux sexe tranché. le corps de l'homme de couleur ensuite disparait et réapparait incompréhensiblement dans d'autres scènes de crime. Histoires anciennes ? Des meurtres absolument similaires, comme une trainée de sang, vont se multiplier à l'envie dans tout le pays. Trois policiers afro-américains, bardés de toutes les qualités, mènent l'enquête jusqu'à la dernière page dans un Sud raciste sans nuance et sans surprise.


Sans lâcher l'enquête, le récit tente certes de prendre un peu de hauteur. Il y est question du désir de représailles mais aussi de la responsabilité de la littérature. Comme en passant, Percival Everett donne la parole à la très cultivée barmaid Gertrude, à son érudite grand-mère Mama Z, et à son universitaire d'ami Damon Nathan Thruff. Ce dernier, à partir des très exhaustives archives de Mama Z, se voit proposer d'écrire la triste histoire de la ségrégation raciale des noirs aux États-Unis. Il opposera alors un cénotaphe de papier, le nom de toutes les victimes, à la barbarie sans nom.


L'auteur cependant, très en colère et en quête d'une nécessaire réparation, le plus souvent dans le roman semble s'abandonner à la plus coupable envie de vengeance, de meurtre et de castration. « Châtiment » est évidemment une tentative de parodie mais l'imitation du polar, mal détournée de son sens initial et surtout sans une distance véritablement satirique, parait ici manquer totalement sa cible. Il déplace le contexte, retourne le plus simplement la fiction étasunienne et nous livre en fin de compte un texte imprégné par les représentations les plus stéréotypées et racistes des euro-américains pauvres de milieu rural. Les blancs, certes sans qu'on puisse les plaindre, font les frais de ce renversement. Ils sont, sans exception des blancs idiots, ignares, sans diplôme et pro Trump ; des blancs confrontés à des personnes de couleurs toutes intelligentes, cultivées, diplômées et pleines d'humour. Si le shérif Jetty est plus modéré, c'est naturellement qu'il a quelques gouttes de sang noir dans les veines. L'essentialisme noir parfois le dispute à la haine de classe. Il faut insister dans ce commentaire sur l'ambivalence de la parodie. Sa réception est fondamentale parce qu'elle implique toujours des « balises » interprétatives : lorsque celles-ci font défaut, le statut parodique du texte prend le risque d'être complétement ignoré par le lecteur.


Il n'est pas possible de croire naïvement que la dénonciation des horreurs racistes permettra un jour de faire vivre en bonne harmonie les hommes, dans le respect de leur diversité. En dépit de son urgente nécessité pratique et morale, la lutte contre les discriminations entraine dans un même mouvement l'humanité vers une civilisation mondiale destructrice des particularismes créateurs de valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent du prix à la vie. Mais si la littérature ne se résigne pas à devenir productrice de valeurs dominantes, capable seulement de donner jour à des oeuvres bâtardes, des inventions grossières et puériles, elle doit réapprendre que toute création implique une certaine surdité à l'appel d'autres valeurs pouvant aller jusqu'à leur refus, leur négation. Car on ne peut à la fois, nous dit Claude Lévi-Strauss dans « Race et Culture », se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui et se maintenir différent. « Châtiment » est sans aucun doute un de ces romans agréablement standardisés qui ne permet pas à la communauté afro-étasunienne d'évoluer de façon différente sur le plan culturel et d'exister. Toute l'oeuvre de Toni Morrison est l'exact opposé de ce travail de Percival Everett. Son écriture n'est pas seulement inventions de formes, elle est transmission de la mémoire du peuple afro-américain, manifestation de la richesse de sa culture, histoire particularisée de son monde. L'auteure dit la communauté telle qu'elle était et, peut-être surtout, telle qu'elle change.

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