Je connais par cœur les différentes impressions des œuvres du patrimoine, les principales éditions critiques des livres rares, la connaissance étant le pas le plus important dans la recherche de ce qui est oublié, perdu et épuisé.
Tout se brouille dans son esprit. Elle n’a jamais vu dans son fils unique qu’un enfant qui avait besoin d’être choyé et guidé, parfois même sermonné s’il le fallait, ce qui arrivait souvent, s’agissant surtout de son refus catégorique de se marier.
Elle est convaincue qu’il y a des gens qui naissent non programmés pour exprimer les sentiments de joie,de satisfaction ou d’amitié, même quand ils trempent dedans, et qu’ils les éprouvent uniquement en silence.
Elle aurait voulu les effacer
et retrouver cette jeune fille insouciante qu’elle avait été
autrefois. Ah ! comme elle eût aimé que l’étranger fût
demeuré étranger !
Le visage de sa mère s’assombrit sans qu’elle en connût
la raison. Elle savait seulement que la moindre broutille
prenait à ses yeux l’ampleur d’une tragédie. Elle ne voyait
pas les choses avec le regard des autres.
Elle se sentait
dans un monde qui n’avait plus rien de commun avec
l’univers brumeux du matin. Le soleil trônait dans le ciel,
les couleurs étincelaient, tout devenait limpide et, à la
faveur de ce dévoilement, les fantômes s’évanouissaient
et se dissolvaient en atomes dont on n’a même pas idée.
Hier, j’ai mangé une lune.
J’ai souvenir d’une rue semée d’un petit groupe de gens, tels les figurants d’un film muet dont j’étais le seul acteur et que j’épiais par le trou d’un mur qui me séparait de la vie. Je me rappelle avoir levé les yeux vers le ciel et avoir vu une lune double ou, plus exactement, la lune doublée de son spectre rayonnant pareil à son image réfléchie dans un miroir latent.
Puis j’ai vu chaque lune se doubler d’un nouveau reflet, un par la droite, l’autre par la gauche. Quel étonnement ! Voilà mon ciel paré de six lunes, ou plutôt, de trois paires
de lunes. Mais ce fut un étonnement contenu alors même que, ouvrant la porte de notre appartement, je me trouvai nez à nez avec une chatte noire qui attendait dans l’escalier.
Plus tard seulement, je me suis avisé que le ciel de la nuit précédente s’habillait d’un ton de turquoise digne d’une pierre précieuse. D’où l’idée m’est venue que j’avais mangé la lune. Il y avait dans ma main une galette de pain, j’avais posé la lune dessus – à moins que ce ne fût un œuf dur ? –, j’avais roulé la galette et l’avais peu à peu grignotée entièrement. Je n’ai plus osé ensuite regarder le ciel. L’obscurité régnait et j’en ai déduit que la lumière
de ma vie s’était éteinte avec l’astre englouti.
Non loin du mur dont l’orifice donnait sur la rue, je me suis étendu sur un banc de pierre, à l’ombre d’un arbre chargé de fleurs en forme de clochettes dont la touffe orangée paraissait occulter la présence des feuilles vertes. Une voix intérieure et familière est alors venue me dire que cet arbre s’appelait le bombax, chez qui la floraison précède la feuillaison. J’ignorais d’où me venait cette information. Je ressentais seulement une chaleur au fond de mes entrailles, comme si une lune en éclairait les ténèbres enfouies.
(INCIPIT)
Rien n’arrive par hasard en ce monde. Tout arrive pour quelque chose.
Le chien vous conduit lui-même à la maison de ses maîtres.
Qui se cache a sûrement ses raisons.