La mort traverse le village de pêcheurs de Bodskär. La mort arrive affublée de bonnets noirs et de vestes de treillis. Elle est enveloppée de poudre, de sang et d’une puanteur salée. Elle est féroce. Impitoyable.
Il sort sa lampe pour voir l'enfant humain qu'il a sauvé. Pour voir la vie dont il a assuré la rédemption. L'enfant qu'il va ramener chez lui en gage de son humanité. Il voit des yeux noirs. Un visage qui grouille d'anguilles autour d'une bouche béante dénuée de dents. Des mains qui n'en sont pas. Des pieds sans orteils.
Pendant le restant de ses jours, Larsson se demandera s'il a placé la grenade de Becirov dans le berceau et s'il a pensé à la dégoupiller avant de s'enfuir. (p.187)
Grand-mère va partir en voyage. Elle va se rendre dans le nouveau pays tout au nord. Elle va enfin rencontrer Armada et les enfants. Toute la nouvelle génération. Ceux qu’elle n’a jamais vus, mais auxquels elle manque néanmoins. À longueur de temps. Loshie et Kinda. Simon et Jan. Les petits de Zami. Toute la tribu. Ensemble, ils iront ensuite s’installer dans la maison que l’Oncle Tanic a achetée. Elle se trouve à la périphérie de Hammarstrand. Une bourgade au nord. Près de Gesunden. Ce nom ne signifie rien suédois, mais c’est un lac. On le voit depuis la colline près de la maison. Il s’étale dans un vallon de verdure telle une grande mer bleue. Le paysage est beau et paisible. Désert. Et le silence y règne.
La maison est grande. Grande et ancienne. Elle est marron, compte deux étages et dispose d’une cave, d’une grange, d’un garage et d’une pelouse. Il y a aussi de grands arbres dans lesquels les enfants pourront grimper. Elle pourra abriter toute la famille. Ils vont de nouveau être tous ensemble. Et plus personne n’aura à avoir peur. C’est l’intérêt principal du projet. Ils vont enfin pouvoir être réunis. Dans une grande maison. Loin de toute nuisance.
La famille est excitée. Ses membres sont nerveux et ne tiennent pas en place. Ils se querellent sans cesse pour des queues de cerise. Tous ont du mal à dormir. Tous pensent à Grand-mère. À l’Oncle Tanic aussi. Merci Oncle Tanic d’avoir organisé tout ça. Merci de comprendre cet affreux pays qu’est la Suède. Et merci Linecka de l’avoir aidé. Nous qui vivons dans les deux appartements ne nous en sortirions jamais sans vous. Nous mourrions de faim. Nous nous éteindrions. Sans vous deux, nous étions des prisonniers dans l’abominable Rosengård. Cernés de gens. Des gens dangereux et criards. Ceux qui haïssent. Ceux qui détruisent. Ceux que la famille n’a cessé de fuir.
(« Le voyage de Grand-mère »)
Fredman remarque qu'il n'est pas concentré. Bon Dieu ce qu'il peut avoir l'esprit lent, désormais ! Est ce qu'on ressent lorsqu'on vieillit? Comme se noyer dans la mélasse.
De l'art immédiat. Votre première réaction à l'oeuvre est aussi importante que l'oeuvre elle-même. (p.87)
L'amour était pour les imbéciles. Le mariage pour les masochistes. (p.79)
Les monstres se tiennent à distance. Ils ont peur de l'ennui. Ils savent que le temps est pire que tout ce dont ils sont capables. L'ennui est plus puissant que la terreur. La douleur se couche face à une éternité d'ennui. (p.220)
Dans l'entrée flottent les odeurs typiques de ce genre d'établissements: le chou, le pet et le renfermé. (p.251)
Il dissimule son visage dans l'ombre. Enroulé dans un grand manteau marron. Il feint d'être un de ces honnes saints de Jésus. Un bon déguisement. Feins de vénérer un dieu mort et les gens te laisseront en paix. (p.285)
C’est lors d’une nuit d’automne éclairée par un fin croissant de lune que la mort arriva à Bodskär. C’est une forme de mort inconnue qui s’y présenta. Elle était en acier et renvoyait des reflets métalliques. Elle avait été pensée dans les moindres détails, avait fait l’objet de nombreux exercices. La mort qui débarqua à Boskär était humaine et moderne. Elle arriva accompagnée de radars, d’embarcations pneumatiques et de moteurs si silencieux que les habitants de l’île ne les entendirent pas. Cette mort était vêtue de kaki, avait le visage camouflé de maquillage noir et se révélait redoutablement dangereuse. Elle voulait tuer tous ceux qui se trouvaient sur l’îlot. Personne ne devait en réchapper.
Le problème, c’est que la mort se trouvait déjà à Bodskär. Celle-là était noire et terrifiante. Elle était séculaire, boursouflée et empestait le poisson pourri, la graisse de phoque et le bois vermoulu. Et elle appartenait à un genre que peu d’hommes avaient jamais observé. Elle se tapissait dans les eaux poissonneuses, tout au fond de l’abysse au sud de l’îlot. Invisible depuis Högfjärden et avec vue sur le large depuis les récifs tout proches. Un secret. Dissimulé, isolé et invisible. Une cachette au milieu des rochers et des terres de Svenska Vallen. Ce vieux secteur de pêche était un endroit qu’on regardait de loin. Depuis le large, loin de la digue. On y repérait des toits et demandait : « Des gens vivent vraiment là-bas ? » Ils doivent être fous. Qu’est-ce que ça doit souffler. Et vous imaginez le froid en hiver ? À moins que les chalets soient à l’abandon ? Les maisons rongées par le soleil et le sel sont aussi grises que la roche. Elles ont l’air complètement érodées, comme si elles étaient sur le point de se fondre dans la falaise, exactement comme les pontons dans la baie paraissent s’enfoncer peu à peu dans les flots.
(« Quand la mort vint à Bodskär »)