À l'encre du coeur

J'ai fini par comprendre d’où venait cette jalousie incontrôlée, m'empêchant de me sentir totalement heureuse. Mes rêves récurrents par rapport à ma mère m'ouvraient la voie. En réalité, je redoute d'être séparée de mon Polynésien, comme mon père, ma sœur Amandine et moi l'avons été d’Elsa. J'ai peur qu'on ne me prenne mon homme, comme l'océan nous a brutalement pris ma mère. Les deux situations n'ont rien à voir, cependant, là aussi un traumatisme semble avoir subsisté durant toutes ces années. Mon Dieu, nous sommes si fragiles, nous les êtres humains…

À défaut de se développer dans mon ventre, mon intrigue grandit sans bruit dans l'espace intime de mon esprit. Et elle y occupe de plus en plus d'importance. De plus en plus de place. J'y pense le jour, mais aussi la nuit lorsque je ne dors pas. Mes personnages prennent de l'épaisseur, de la présence. Les lieux dans lesquels ils évoluent aussi. J'écris, je retravaille, je me surprends à ciseler mes phrases comme un sculpteur affine inlassablement les formes, les détails d'une statue de marbre. Je plonge sans effort dans cet état particulier que je nomme : « en création ». En fait, il me suffit juste que je me « branche », j’amorce puis je laisse venir. Les idées viennent. Et peu à peu, non œuvre prend forme sous mes doigts.
Je n’aurais jamais cru que l'écriture puisse ainsi combler ma solitude. Mon isolement. Ce profond repli sur moi-même, dû à ma surdité.

Si je pouvais communiquer comme tout le monde, je ferais tellement plus de choses. Je m'inscrirais dans une association pour pratiquer un sport en groupe, irais chanter dans une chorale, partagerais parfois un film au cinéma avec mes amis. Au lieu de quoi, je me promène seul au Jardin des Plantes, fredonne dans ma cuisine et ne me confronte pas au grand écran, faute de saisir la plupart des répliques des acteurs. Heureusement, j'ai le goût de la lecture depuis l’enfance. Alors, je dévore des tonnes de livres empruntés à la bibliothèque de notre quartier populaire.

Elle est vêtue d'une robe légère de couleur crème, avec de grands tournesols rouges qui ressemblent à l’un de ses tableaux. Elle marche pieds nus sur la plage, avance vers moi de sa démarche souple de danseuse. Ses cheveux d’or flamboient dans le coucher du soleil et leur lumière me brûle les yeux.

Rester simple, naturelle. Il ne doit se douter de rien.

Le lendemain soir, moi la timide rousse handicapée étais invitée à dîner chez la blonde virevoltante et bien dans sa peau. Maëlle me présentait son mari Éric. Un homme chaleureux, qui s’est montré très attentif à mon handicap. Il a fait l’effort rare d’articuler suffisamment en me regardant bien en face, afin que je puisse déchiffrer sur ses lèvres et me sente à l’aise tout au long de la soirée. J’ai tout de suite ressenti une belle ambiance de complicité, de respect, d’amour profond entre mes nouveaux amis. Et cela m’a fait un bien fou.

Il faut faire confiance à la magie de la vie. À son inimaginable inventivité. J’ai eu raison d’y croire. Car quoiqu’on puisse en dire, c’est bien l amour qui fait vivre. Autour de moi, il a tissé une étoffe solide, aux couleurs de la tendresse.

Je le connais bien mon paternel, il est dur au mal, mais pas masochiste ; il n’avait aucun intérêt à conserver les écrits des amours de sa femme avec un autre homme…

Non mais quel menteur cet homme-là, quel hypocrite ! Il me prend pour qui ? Une bécasse à qui il peut raconter n’importe quoi ? Une fille qu’il peut manœuvrer à sa guise, sous ses airs de don Juan ? Ou bien a-t-il déjà compris qui j’étais et cherche-t-il à se protéger ? Pourtant, cela me paraît bien peu probable. Je ne suis pas encore allée assez loin dans les questions qui le concernent directement.

J’ai toujours été d’un tempérament « soupe au lait ». Petite déjà, je pouvais m’indigner promptement et violemment contre la moindre injustice. Plus tard, mes emportements sont devenus légendaires dans la famille.