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Critique de berni_29


Ne voyez pas une malice de ma part en publiant cette chronique au cours du mois de septembre, mais simplement la conséquence d'un retard dans la réservation de ce livre faite auprès de ma médiathèque préférée.
Paris au mois d'août est un délicieux roman de René Fallet, publié en 1964. D'ailleurs, l'histoire se déroule dans le Paris des années soixante, le Paris bon enfant de la croissance, des congés payés, dans la France de De Gaulle et de Pompidou. C'est le Paris des quartiers populaires, des grands magasins, du zinc, du tiercé, de la belote, des rues qui déjà s'affolent, se vident, se remplissent selon les transhumances urbaines...
Le narrateur, c'est Henri Plantin, un Français moyen, ceux qui ne font pas de bruit, ceux dont on ne dit rien. Il travaille à la Samaritaine, il est chef de rayon aux articles de pêche, magasin 3. Vous le reconnaitrez, il a une blouse grise et il ressemble à Charles Aznavour...
Cette année, Henri Plantin ne suivra pas la petite famille à Concarneau, chez la tante de son épouse Simone... Ouf ! Il ne supportait plus l'iode ni le grand large (ici s'il vous plaît, en tant que Finistérien de souche, je réclame un droit de réserve, ce propos n'engageant que le narrateur !). Bref, Henri se réjouit de ces trois semaines où il restera seul dans l'appartement de la rue Saint-Martin. Seul, pas tout à fait...
Trois semaines pour Henri Plantin, c'est plutôt l'occasion de taper le carton avec ses copains, les apéritifs où l'on devise, où l'on refait le monde à coup de pastis, où l'on devient tous Présidents de la République, où l'on sait brusquement tout sur tout... Bien entendu, tout ceci n'arrive plus aujourd'hui...
Trois semaines où Henri n'est pas obligé de rentrer à la maison à dix-neuf heures pétantes.
Et puis, deux ou trois jours plus tard, à peine se souvient-il d'avoir déposé sa femme et ses trois enfants dans le train pour la Bretagne, qu'Henri Plantin rencontre par hasard Quai de la Mégisserie, une jeune et jolie anglaise blonde en robe rouge du nom de Patricia Greaves, dite « Pat », mannequin à Londres en vacances à Paris, un peu perdue à la recherche de Napoléon pensant que ses cendres reposerait au Panthéon... Pat l'épate (bon, désolé, je sais... !)
Et voilà note Riton indiquant le chemin, se proposant même de faire un brin de causette. Henri propose de l'accompagner vers les Invalides... Il n'en faut pas plus à notre chef de rayon pêche pour hameçonner le coeur de la belle, où c'est peut-être l'inverse, allez savoir !
Mais « il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous » avait dit un poète quelques décennies plus tôt.
De cette rencontre fortuite va naître une histoire d'amour fulgurante...
Blonde et robe rouge, façon Kim Novak, Pat traversant le paysage d'Henri, ici le vertige de l'amour va durer trois semaines...
Un pigeon blanc qui se pose sur le toit devient brusquement le témoin attendri, le complice, l'allié de cette histoire jubilatoire et triste à la fois.
Bon, pour dire franchement les choses, c'est une histoire d'adultère à la française. Il ne s'agit pas ici d'en faire ni l'apologie, ni de s'en offusquer, mais plutôt, à l'instar de notre ami le pigeon blanc, de capter les émotions de nos personnages, et les émotions, ce sont bien sûr la joie pure, mais aussi la tristesse, la peur, la colère... Oui la colère contre le destin ! Ce foutu et satané destin !!! Aïe, je m'égare...
Ce sont deux amants traversés de bonheur, déchirés aussi parce qu'ils sont épris l'un de l'autre, mais tandis que l'un se projette dans l'après, l'autre se délecte de l'instant présent.
Henri est fou d'amour, Henri est affolé. Oui mais Pat vit l'amour au jour le jour, déguste chaque instant.
Il y a toujours ce léger et douloureux décalage que vivent les amants de quelques jours... Vous savez ce que c'est... Je dis cela, mais peut-être que vous n'en savez rien...
À peine commencée, l'histoire se projette déjà dans l'inquiétude de la fin inéluctable, rendant presque incapable la saveur de l'instant présent. N'avez-vous jamais vécu ce tourment ?
C'est comme si le 31 août sonnait par avance le glas, une sorte de Waterloo, désolé c'est l'image anglaise qui me vient, une sorte de Trafalgar, où Pat s'en irait, sonnant la défaite, la puissance du destin devant laquelle il faut rendre les armes, où la famille reviendrait de Concarneau, où la concierge de l'immeuble rirait sous cape, où seul un pigeon blanc égaré sur un toit sous le ciel de Paris serait aussi triste qu'Henri Plantin...
Faut-il voir dans cette romance parisienne une fable philosophique sur la capacité ou l'impossibilité de se saisir de l'immanence de l'instant ?
Comment garder l'essentiel de cette rencontre, sa quintessence, dans ce mouvement qui les brûle tous les deux, les embrase, dont la trajectoire file inexorablement vers la séparation, l'impossibilité d'un après ensemble... File vers ce couperet du 31 août.
Mais Paris au mois d'août, c'est aussi l'éloge de l'amitié, de la fraternité, de la débrouille.
Paris au mois d'août, c'est tendre, c'est coquin, c'est espiègle, c'est narquois, on passe de la joie à la tristesse comme on passe d'une rive de la Seine à l'autre en passant par le pont des Arts... C'est une romance de Paris, le Paris des gens de peu, des gens riches dans le coeur, je ne vous en dis pas plus, mais quand même, sans cela l'histoire d'Henri n'en mènerait pas large...
Paris au mois d'août, c'est un air d'accordéon, un Paris qui n'existe plus, ou presque plus...
Les prémices de la fin d'une époque sont déjà là, le gouvernement vient de décider de transférer les Halles à Rungis et à la Villette. On s'apprête aussi à construire au loin de grandes barres, des H.L.M. comme ils disent. Il faudra bien s'habituer à ce mot : Achélèm, encore heureux que ce soit facile à dire, à défaut que ce soit facile d'y vivre...
Les couches sociales les plus modestes bientôt quitteront peu à peu ce centre mythique de Paris pour laisser place à autre chose qui ne ressemblera plus à l'âme de Paris et de ses faubourgs. Voilà ! C'est à cela que devisent les copains qui refont le monde, sans faire de mal à personne, sauf un peu à eux-mêmes... Écrit en 1964, certains propos du texte sont terriblement prémonitoires...
Paris au mois d'août, c'est un Paris qui n'existe plus. Aujourd'hui le rayon pêche de la Samaritaine est sans doute devenu la chambre luxueuse à 1 000 $ la nuit d'un somptueux hôtel pour milliardaires.
René Fallet apporte dans ce récit sa verve, des citations qui font mouche, c'est inventif, c'est jubilatoire, c'est nostalgique comme une chanson d'Aznavour...
Comme Henri Plantin, on voudrait que le 31 août n'arrive jamais dans nos vies.
En lisant ce roman j'ai eu l'impression que durant 237 pages mon coeur ressemblait, à s'y méprendre, à ce Paris des années soixante au mois d'août.
Longtemps dans mon coeur mélancolique, il sera Paris au mois d'août.

♬ Balayé par septembre
Notre amour d'un été
Tristement se démembre
Et se meurt au passé
J'avais beau m'y attendre
Mon coeur vide de tout
Ressemble à s'y méprendre
A Paris au mois d'août
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