"Mon frère ennemi. Il y aura toujours une place pour toi dans mon cœur mais il n'y a plus de place pour toi dans mon pays. La terre verte et douce est rouge de sang d'hommes braves, de femmes brisées et d'enfants innocents, et les cris de vengeance ne doivent pas être étouffés et ne le seront pas. Mon frère, mon ennemi. Il est temps de cesser le combat et de rentrer."
Il lui avait suffi de demander. Reste pour le Petit-Déjeuner, et pour Toute la Vie, puis quelques semaines plus tard, Épouse-moi. Elle lui avait fait remarquer qu'ils ne se connaissaient que depuis quelques mois et qu'il ne savait rien d'elle, ce à quoi il avait répondu qu'il ne pouvait plus imaginer le monde sans elle, qu'il avait tout ce dont il avait besoin lorsqu'il la tenait dans ses bras et qu'il attendait avec impatience d'avoir toute la vie pour découvrir le reste. Elle avait alors dit quelque chose comme « bon ben, d'accord, dans ce cas » ou « si tu veux, alors », ou autre chose de tout aussi prudent, et laissé son enthousiasme la submerger et faire que tout cela se réalise.
Ça me fait bizarre à moi aussi, tu sais, dit-elle d'un air songeur. Peut-être que les meilleurs amis ne sont pas faits pour sortir ensemble. Comment est-ce qu'on peut coucher avec quelqu'un après avoir fait des concours de pets avec lui ?
Lors de leur première année d'école, Jazz et Aruna avaient coutume d'aller s'asseoir dans un coin de la cour de récréation, en tailleur, leurs genoux se touchant, et de parler, parler, parler... Ils se cherchaient des noms de stars du porno en juxtaposant le nom de leur premier animal de compagnie (n'ayant ni l'un ni l'autre encore eu le moindre animal, ils avaient ainsi un choix infini) et le nom de jeune fille de leur mère. Ruffles Kamran fut le préféré de Jazz, qui espérait avoir un chien un jour, et Goldie Ullah celui d'Aruna, qui, plus pragmatique, souhaitait un poisson rouge. Ils se posaient des questions telles que: "Si tu étais dans la jungle, qu'est-ce que tu verrais?" auxquelles Aruna répondait: "Des arbres, des tigres et des serpents" et Jazz : "Tarzan" en poussant son cri de la jungle tout en se frappant la poitrine comme un gorille pour la faire rire.
Mais alors qu'il feuillette ses journaux, prêtant à peine attention aux mots, rien qu'à la vue de cette écriture familière et de cette ponctuation affectueusement surabondante, Hassan se souvient. Anwar, fier comme un paon, du haut de son mètre soixante-cinq à peine, avec ses méticuleux rituels de toilette et ses chaussures impeccablement cirées.
[...]
Anwar le Pendjabi puis, plus tard, lorsque l'histoire, les Britanniques et le mouvement nationaliste redessinèrent les contours de l'Inde, Anwar le Pakistanais.
Mon frère ennemi. Il y aura toujours une place pour toi dans mon cœur mais il n'y a plus de place pour toi dans mon pays. La terre verte et douce est rouge de sang d'hommes braves, de femmes brisées et d'enfants innocents, et les cris de vengeance ne doivent pas être étouffés et ne le seront pas. Mon frère, mon ennemi. Il est temps de cesser le combat et de rentrer