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Critique de boubou10588


Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=Ugv__T_8Ma4

Le début du bruit et la fureur, ça me fait un penser à quand on a trop bu et qu'on se recroqueville sur un coin de table, et que tout le monde parle de tout, de rien, comme si on n'existait pas, parfois de nous, à la troisième personne, et c'est comme si on était dépersonnalisé. Et de fait, c'est le cas du narrateur de la première partie, qui est handicapé mental. Tout le monde parle de lui comme s'il n'était pas là, comme s'il n'habitait pas son corps, sauf Caddy, sa soeur, peut-être. Et ce qu'il se passe, c'est un enchainement d'actions, de pensées, de changements de temporalité, ce qui fait qu'on est perdu, on ne comprend rien, comme Benjamin. Benjamin qui a changé de nom ; qui s'appelait Maury, comme son oncle et le motif du dédoublement revient, deux Quentin, deux Jason, deux Maury, donc. Dédoublement qui sert autant à perdre le lecteur qu'à montrer une sorte de bégaiement, où les personnages sont comme des héros de tragédies grecs, à reproduire le passé. On se demande pourquoi ce changement de nom ; est-ce pour éviter le déshonneur, qui a l'air de tenir à coeur à la mère ? Manière de renier son fils ? On comprend que ça a dû être concomitant à la découverte de son handicap mental, comme un deuil ; la perte du fils tel qu'il aurait dû être. Quoiqu'il en soit, la première partie est sibylline, on nous présente la fratrie, surtout Caddy, ils sont enfants, adultes, présents, absents, c'est des ombres, comme dans la caverne dont ne peut sortir Benjamin, il se raccroche à des marqueurs sensoriels, donc, comme les odeurs « Caddy sentait comme les arbres », comme la pluie, etc.

Vient la seconde partie, centré sur Quentin, le frère qui étudie à Harvard. Thème du temps, qui revient le long de cette partie, un certain aveuglement quant au temps qui passe, au calcul des heures, Excrément à ses yeux. On a l'impression que ça se déroule sur une journée, on continue à ne pas trop comprendre, il dessine un amour incestueux qu'il éprouve pour sa soeur, une envie de fuite vers un bonheur originel, enfantin et sans doute fantasmé « nous pourrions nous enfuir toi Benjy et moi là où personne ne nous connaîtrait ». Il se fait arrêter par la police parce qu'une petit fille le suivait et qu'on imaginait le pire, il se fait casser la gueule, puis se suicide. le personnage vit, il n'y a pas de surexplication, ou d'explication tout court, à part cette tocade sur le temps et sa soeur « le Christ n'a pas été crucifié : il a été rongé par un menu tic-tac de petites roues. Lui qui n'avait pas de soeur ».

Suit la partie de Jason le frère raciste, sexiste, qui emmerde toutes les femmes sauf sa mère, partie où l'on comprend mieux ce qui est advenu à chacun, la castration de Benji par exemple, le suicide de Quentin, la relation entravée de Caddy et sa fille Quentin. Puis on conclut sur Dilsey, la domestique noire, qui se rend à un prêche et le religieux permet d'expliquer la chute des blancs du Sud, et de la famille Compson« — J'ai vu le premier et le dernier, dit Dilsey. […] J'ai vu le commencement, et maintenant, je vois la fin. ». Les premiers seront les derniers, qui ferait de la dégénérescence autant financière que morale de la famille une punition divine. L'inceste, le handicap, la maladie (l'oncle Maury et la mère semblent de consistance fragile) sont en train de donner le point final à leur lignée, ce qui est symbolisé autant par le suicide de Quentin que par la castration de Benjy. La famille Compson est une famille à l'agonie.

Le conscient ne comprend pas, quand je lisais, je ne comprenais presque rien, le texte semble accessible à l'inconscient, c'est l'expérience que j'ai traversé, quand je me suis rendu compte que j'arrivais à visualiser ce qui se passe a posteriori, alors qu'à la lecture, j'avais l'impression de boire la tasse. C'est le roman américain comme on en entend souvent parler, avec un refus de l'explication, un refus de la psychologisation, aussi, les personnages agissent, et c'est tout. Et en lisant la postface de Jean-Paul Sartre, on voit aussi que ça aurait pu être un roman existentialiste, dans la définition qu'il en donne selon laquelle chez l'homme, l'existence précède l'essence. C'est-à-dire que l'on sait ce que l'on est à notre mort, on vit, et c'est nos actes qui nous définiront. Ou comme est dit dans le roman, « Un homme est la somme de ses propres malheurs ». Qui nous sommes, c'est l'avenir qui le dira, mais dans le bruit et la fureur l'omniprésence du passé barre cet avenir, ce qui fait conclure Sartre par « j'aime son art, je ne crois pas à sa métaphysique ». Ce qui est intéressant aussi dans cette postface, c'est que Sartre nous convainc que le livre n'a pas été écrit pour être déstructuré, ce n'est pas un puzzle qu'on a mélangé, mais que l'histoire est ce qu'elle est, qu'elle n'aurait pu être dite autrement.

Je vous le conseille, mais contrairement à ceux qui vous diraient de le lire sans indice, sans lire le résumé ou quoi que ce soit, moi, je vous dis l'inverse. Je pense que j'ai aimé le lire parce que j'avais quelque chose à me raccrocher, que j'étais comme une enquêtrice qui avait déjà des pistes, je pense que je me serais noyée sans ces indices. Et je crois que la question de l'intrigue est morte chez Faulkner, comme chez Joyce, ce n'est pas un livre où la lecture serait gâchée de savoir qu'untel ou unetelle est mort (comme tous les bons livres en fait). Si je veux faire le gourou de développement personnel, je dirais que c'est le chemin qui compte, pas la destinée.

Lien : https://www.youtube.com/watc..
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