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Critique de LaBiblidOnee


Sorte de « Germinal » des glaces, à l'ambiance prenante et aux personnages attachants, Lëd (« Glace », en russe) est le roman que Caryl Férey a écrit après son voyage éclair à Norilsk, en Sibérie. de ce voyage, initié par ses éditrices, sont nés deux livres : « Norilsk », récit de son périple dans cette ancienne ville goulag (dont je vous parlais la dernière fois), et « Lëd », ce roman policier de 500 pages dont l'intrigue se déroule à Norilsk. Si j'ai trouvé le réaliste « Norilsk » plus superficiel, j'ai en revanche été conquise par l'imaginaire de « Lëd ».
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Tout commence à -60°, lorsqu'un ouragan arrache le toit d'un immeuble comme on ôterait le couvercle d'une conserve, puis rejette les débris à terre… avec un cadavre déjà congelé. Il faut dire qu'à ces températures, c'est dur de creuser un trou où enfouir les corps gênants. Ils sont trois à découvrir le corps, qui s'avérera être celui d'un nomade éleveur de rennes : Gleb, photographe amateur et ouvrier dans les mines de cet ancien goulag devenu prison industrielle à ciel ouvert, Dasha, couturière et pole danseuse dans un bar de la ville, et Shakir, l'Ouzbeck chauffeur de taxi revenu détraqué d'Afganistan. Les trois étaient sortis malgré le danger pour s'assurer que personne n'avait été blessé par la chute du toit.
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Le problème du policier héritant de l'affaire est que pour interroger la peuplade d'éleveurs de rennes sur la victime (que faisait-il en ville seul et sans ses bêtes, quelqu'un lui en voulait-il, etc…?), il faut attendre la fin de la transhumance. En attendant, Boris se concentre sur les trois découvreurs de cadavres et apprend, sur le blog militant écolo d'une dénommée Valentina, que Gleb avait photographié la victime au sein de sa communauté quelques mois avant sa mort. Il connaissait donc la victime. D'ailleurs, on comprend assez vite que tout le monde ici est plus ou moins lié, ce microcosme se retrouvant notamment les soirs de fin de semaine au lieu de vie par excellence : le bar branchouille du coin où les liens se tissent et se défont, sous l'oeil alcoolisé des curieux, dont fait partie le lecteur. Mais pendant que l'enquête se poursuit, c'est au tour de Valentina d'être retrouvée sans vie dans une voiture congelée, autour d'un ancien zoo dont tous les animaux sont morts, zoo recyclé en… Je vous laisse découvrir.
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En effet, si l'intrigue elle-même nous tient sagement en haleine tout au long de cette lecture, c'est la découverte de l'ambiance de cette ville industrielle glacée au fil du texte qui fait le charme du roman, mettant en valeur toute la chaleur humaine qui s'en dégage. Caryl Férey parsème son texte de descriptions qu'il avait évoquées dans Norilsk, mais parvient cette fois dans ce roman, je trouve, à leur donner un corps et une âme. Dans son récit de voyage, pour moi, seuls les personnages en avaient. Mais ici, même si les personnages portent le roman, façonnés par le duo humour-humanité de sa plume, j'étais aussi complètement immergée dans le paysage. L'histoire tragique et désespérante de cette cité industrielle vibre à chaque page, ce qui m'avait cruellement manqué dans son récit de voyage.
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Je suis pourtant ravie d'avoir lu Norilsk avant ce roman, car il prépare le terrain à merveille, pose le contexte qui donne son relief à Lëd. Au début, j'ai craint que l'auteur ne se contente de recopier des passages de son récit pour camper le décor ; mais finalement, je m'y suis très vite sentie si bien et j'y ai trouvé tellement plus de matière, que j'ai plutôt vu ça comme des clins d'oeil, amusants à débusquer. Et ils sont nombreux : la description de la couleur des murs (le marron qui se marie au brun, et l'orange à rien du tout^^), les sourcils étonnamment dessinés d'une dame, l'horloge de 24 heures au lieu de douze pour s'y retrouver dans cette nuit perpétuelle, les numéros de rue énormes pour les repérer même dans la tempête de neige, les rues étroites coupe-vent, les toits sans barrière, ce décor de cheminées industrielles évoquant un paquebot, les « nerfs très russes » et j'en passe.
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Les personnages ne sont pas en reste : Ceux qui auront lu son récit de voyage préalablement retrouveront des descriptions physiques ou morales, des bouts de vie croisées au Zaboy, ce bar également transposé, que je place étrangement dans les personnages et non dans les lieux. Surtout, c'est la vie, la chaleur humaine qui illuminent ce roman et qui, combinée au blanc de la glace qui les entoure, en atténuent la noirceur. Noirceur de certaines âmes corrompues jusqu'à la moëlle (je rappelle qu'on n'entre et sort de cette ville qu'avec l'autorisation du FSB !), noirceur de la pollution qui tue les gens à 60 ans (la seule ville de Norilsk pollue autant que la France entière), noirceur des couloirs des mines où travaillent la majorité des hommes de la ville, avec tous les accidents et problèmes de santé que cela implique. Noirceur des avenirs de ces prisonniers de la fatalité (Norilsk est un ancien goulag), une fatalité qu'ils prennent à bras le corps chaque jour tenter de percer cette nuit, noire, qui menace de les engloutir.
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Et parmi tout cela des sujets de société tels que l'homosexualité dans ce genre de régime politique, la place des femmes et de leur corps dans la société, les guerres, l'écologie évidemment, la corruption et bien d'autres. Rien à reprocher à la construction ni à la progression très régulière de l'énigme, savamment emmitouflée dans les liens tissés entre les gens. Au total, j'ai été vraiment charmée rendu de ce roman : je l'ai trouvé humainement touchant autant qu'efficace. L'énigme policière n'y prend pas plus d'importance que les gens, les lieux, leur histoire. J'ai particulièrement aimé la manière dont, à travers ses personnages, l'auteur rend un hommage évident aux personnes qu'il a réellement rencontrées, et qui lui ont demandé de mettre en valeur leur communauté lumineuse. Merci à Cancie de m'avoir donné envie de découvrir l'ambiance de ce « Germinal » des glaces, que je vous invite à découvrir par vous-même !
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