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Caryl Férey (Autre)
EAN : 9791037502780
400 pages
Les Arènes (14/01/2021)
  Existe en édition audio
3.86/5   714 notes
Résumé :
Norilsk est la ville de Sibérie la plus au nord et la plus polluée au monde. Dans cet univers dantesque où les aurores boréales se succèdent, les températures peuvent descendre sous les 60°C.

Au lendemain d'un ouragan arctique, le cadavre d'un éleveur de rennes émerge des décombres d'un toit d'immeuble, arraché par les éléments. Boris, flic flegmatique banni d'Irkoutsk, est chargé de l'affaire.
Dans cette prison à ciel ouvert, il découvre une j... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (157) Voir plus Ajouter une critique
3,86

sur 714 notes
Caryl Férey est un des auteurs de romans policiers français que j'apprécie le plus pour sa capacité à immerger le lecteur dans une culture, un environnement, une société par le biais d'une enquête criminelle. Après l'Afrique du Sud post-Apartheid ( Zulu ), la Nouvelle-Zélande maori ( Haka ) ou encore la pampa argentine ( Mapuche ), pour ne citer qu'eux, la direction Norilsk, en Sibérie de l'Est.

Une nouvelle fois, c'est du très bon ethno-polar en mode Arctique noir. Avec une particularité significative, un récit de voyage, Norilsk, l'a précédé. L'écrivain baroudeur a posé ses valises dans cette ville pour en dresser une radiographie complexe au gré de ses rencontres.

Avec un matériau initial tellement volumineux, l'enquête en elle-même passe presque au deuxième plan après un incipit très réussi : par moins 64 degrés, une tempête soulève le toit d'un immeuble qui se fracasse au sol, dévoilant le cadavre d'un Nenets ( une ethnie autochtone de l'Arctique vivant de l'élevage de rennes ). L'intrigue polar est très simple, lisible, sans mille rebondissements ou fausses pistes. Peut-être presque trop simple mais du coup, cela laisse la place à une immersion spectaculaire et profonde dans la ville de Norilsk.

Norilsk est un décor formidable pour un polar : c'est la grande ville ( plus de 100.000 habitants ) la plus septentrionale au monde, la plus froide et la plus polluée aussi.Un lieu quasi apocalyptique que cette cité minière aux mains d'oligarques russes, siège d'un ancien goulag, une ville fermée dans laquelle il faut l'autorisation du FSB ( les services secrets russes ) pour y circuler.

Si j'ai trouvé la mise en place un peu laborieuse avec des passages didactiques quelque peu wikipidiesques , j'ai été rapidement happée par l'atmosphère tendue qui est distillée par une écriture sèche et efficace. Surtout, Caryl Férey a choisi de déployer une galerie de personnages incroyablement vivants et attachants, son roman est quasi choral. Je retiens tout particulièrement Boris, le flic bourru agrippé à la vie par son épouse malade, Gleb le mineur-boutefeu qui doit vivre son homosexualité caché ou encore Dasha, la rebelle en quête de vérité familiale.

Et c'est passionnant de les voir évoluer dans cet univers violent, noir et complexe, ancré dans le réel. Caryl Férey est toujours du côté des opprimés et des invisibles, ici pris au piège de la corruption généralisée à Norislk régnant sur cet enfer minier sur fonds de spoliation des peuples autochtones. La profondeur du propos est accentué par le récit de l'époque pré-nickel, quand Norilsk était Norillag, un camp du Goulag qui a connu un soulèvement à la mort de Staline en 1953, durement réprimé avant que les détenus survivants une fois libérés soient contraints de rester à Norilsk, côtoyant leurs anciens bourreaux, piégés par la glace ( Lëd signifie "glace" en russe).

Sans doute le roman le plus bouleversant de l'auteur.
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Vous êtes bien emmitouflé dans votre parka, votre tête bien protégée par votre chapka ? Alors vous êtes prêts à suivre Caryl Férey dans ce thriller qui vous conduit direct en Sibérie du Nord, à Norilsk où la température peut descendre jusqu'à – 60 °. Cette cité minière, ex-goulag a été tout de même conçue pour protéger ses habitants des rigueurs du climat : des passages étroits entre les bâtiments font office de refuges en cas de blizzard et les inscriptions des numéros sur les immeubles sont surdimensionnées pour faciliter le repérage en cas de tempête. Néanmoins, il n'existe guère de perspective pour ses habitants. Étant l'une des villes les plus polluées au monde, l'espérance de vie y est très faible et la population jeune se tue dans les mines de nickel et n'a d'autre solution pour faire face à l'âpreté de cette existence que de noyer sa peine dans l'alcool. Voilà pour le décor.
Gleb Berensky, se risque à monter sur le toit de son immeuble pour tenter de prendre une photo de l'ouragan qui est en train de sévir. Parvenu sur la terrasse, la toiture de l'immeuble voisin est arrachée par la tempête. Dasha, quant à elle voit le toit de son gostinka dégringoler sous ses yeux. Ils vont se retrouver tous deux au pied du bâtiment, un masque sur la bouche pour respirer, la tête inclinée pour ne pas basculer en arrière ou être emportés. Ils tentent de soulever des plaques pour voir s'il y n'y aurait pas quelqu'un dessous quand soudain une voix tonne dans leur dos et une main attrape Dasha par le bras pour l'envoyer plus loin et enjoint Gleb de reculer aussitôt. C'est Shakir, le chauffeur de taxi, qui vient de les sauver, en effet, le reste du toit s'écroule et le cadavre d'un éleveur de rennes, un Nenets émerge des décombres. Que venait faire cet éleveur nomade à Norilsk ? Boris Ivanov, un flic flegmatique, récemment muté en Sibérie, plus fin qu'il n'y paraît est chargé de l'enquête et l'autopsie réalisée par Léna, la jeune légiste révèle qu'il s'agit d'un meurtre.
Caryl Férey, comme dans ses précédents polars, mais cette fois-ci, dans un environnement extrême, insère une intrigue palpitante et qui révélera bien des surprises, dans une actualité politique et historique passionnante mais hélas bien triste.
Sans grands égards pour les peuples autochtones, l'Union soviétique a très tôt exploité les ressources énergétiques et minières en créant au début des années 1930, le combinat minier et métallurgique de Norilsk et le camp du goulag de Norilsk, appelé Norillag, camp du goulag qui fournissait ainsi une main d'oeuvre gratuite. Il semble qu'aujourd'hui encore, ce ne soit pas toujours un choix, de travailler dans cette usine de nickel, la plus grosse au monde « dont les émanations se font sentir parfois jusqu'au canada ». C'est quasiment devenu un goulag moderne.
Grâce au personnage de la jeune Valentina, cette militante écolo, l'auteur développe bien toutes les différentes nuisances causées par cette exploitation et les conséquences sur l'avenir de la planète.
De la même manière, avec l'enquête menée par Boris Ivanov, nous découvrons que chacun se surveille et que la corruption est présente à tous les niveaux, nous ménageant d'ailleurs une surprise finale extraordinaire. L'auteur n'oublie pas l'ultranationalisme qui a une place non négligeable dans l'affaire avec ce mouvement le RNU, l'unité nationale russe.
Et comment ne pas être révulsé devant le sort réservé aux homosexuels, ceux-ci étant passibles de prison et donc des sévices que leur réservent les autres détenus.
Caryl Férey nous emporte avec un immense talent dans un polar captivant de bout en bout dans lequel la géographie, l'histoire, la politique, l'écologie et le suspense forment un sublime cocktail mais c'est aussi un roman social où l'amour et l'amitié ont une très grande place de même que la sensualité et la poésie.
Je n'ai qu'une hâte, c'est de découvrir Norilsk, paru en 2017 et qui est le récit de son voyage dans cette ville qui est l'une des plus secrètes du monde.

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Changeant complètement de zone géographique après l'hémisphère sud ou la zone équatoriale avec Zulu, Mapuche, Condor, Paz, Caryl Férey m'a fait découvrir le grand froid sibérien à Norilsk.
C'est Lëd, la glace, et d'emblée, il fait -64° et un terrible ouragan cause de gros dégâts alors que la nuit polaire règne et que l'hiver dure huit mois.
Gleb Berensky est le premier personnage que je rencontre. Si son travail, dans la mine de nickel, consiste à poser des explosifs pour fracturer la roche, il est aussi passionné de photographie et n'hésite pas à monter sur la terrasse d'un immeuble malgré les bourrasques et le froid.
Second personnage important, Ada qui veut être appelée Dasha, est orpheline car sa grand-mère, sa babouchka, vient de mourir à quatre-vingt-douze ans. Elle n'a que vingt-trois ans mais en paraît trente à cause de la pollution du site industriel et des écarts de température : -60° en hiver et +30° l'été, trois mois de nuit permanente et trois autres de jour total.
Quand une bourrasque plus violente emporte le toit d'un immeuble vétuste, Dasha, Gleb et Shakir, un chauffeur de taxi, découvrent un cadavre congelé. Voilà le point de départ de ce roman formidablement documenté, une plongée dans le monde post-soviétique où la corruption règne à tous les niveaux.
D'autres personnages importants entrent en scène comme Boris Ivanov, un flic, marié à Anya qui travaille comme coiffeuse à domicile. le portrait de ce policier n'est guère excitant. Il fait presque pitié mais va bien m'étonner au fil des pages par son opiniâtreté et son sens du devoir. Comme Anya fait de terribles crises d'asthme, toujours à cause de la pollution extrême, il espère pouvoir la faire soigner dans un sanatorium, à Saint-Pétersbourg…
Le secteur de Norilsk, en Sibérie du Nord, n'est accessible qu'en avion toute l'année, si les conditions météo… ou en cargo, l'été, par le port de Doudinka, sur l'Ienisseï. Il y neige deux cent soixante jours par an, mais ici, se trouve le plus grand gisement du monde de nickel, de cuivre et de palladium. Norilsk Nickel, grâce à ses mineurs surexploités et très mal payés, extrait quinze millions de tonnes de minerai par an, produit autant de gaz que ce que consomme la France et Norilsk était, en 2015, la septième ville la plus polluée du monde. Toute la toundra alentour est détruite par les pluies acides et l'espérance de vie y est de plus en plus réduite.
J'ai croisé aussi Lena Bokine, médecin légiste assistant, Sacha, son mari, qui est mineur et passionné par le béhourd, un nouveau sport de combat ultraviolent pratiqué au club cosaque. Si Dasha est très attirée par Gleb, ce dernier aime Nikita, son voisin et compagnon de travail mais ils doivent absolument cacher leur homosexualité pour ne pas avoir de gros ennuis.
L'histoire est judicieusement complétée par des mises au point historiques, économiques, politiques et sociétales très intéressantes.
Le cadavre découvert au pied de l'immeuble étant celui d'un Nenets, j'apprends les détails de la vie de ce peuple nomade, éleveur de rennes, persécuté par le pouvoir soviétique et en cours d'extermination à cause de l'exploitation démesurée du sous-sol sibérien.
Lorsque Dasha tente de retrouver la vérité sur sa mère et sa grand-mère, c'est l'occasion d'apprendre l'histoire du site d'abord créé pour séquestrer des prisonniers - le fameux goulag – les brimer, les exploiter jusqu'à la mort d'épuisement ou de faim. Après la Grande Guerre patriotique comme on nomme la Seconde guerre mondiale en Russie, ils étaient deux millions cinq cents mille détenus et l'association Memorial, malgré de très faibles moyens, tâche de conserver quelques traces de cette terrible époque.
Caryl Férey maîtrise son roman avec tout l'art qu'on lui connaît. Il a vécu sur les lieux et cela se sent à chaque page. Son écriture est claire, précise, ne néglige pas la poésie grâce à Nikita, un mineur, fils de parents komsomols, volontaires soviétiques venus relayer les prisonniers sibériens à la fin des années 1970.
J'ai apprécié toutes les informations et explications distillées au fil des événements angoissants et dramatiques de l'histoire. J'ai frémi souvent. Mon coeur s'est emballé dans les dernières pages.
Lëd me laisse une impression terrible C'est un régal de lecture qui m'a plongé dans la vie bien réelle de cette partie du globe complètement dévastée pour notre bien-être et le super profit de quelques-uns alors que le réchauffement climatique menace de libérer de nouveaux virus, chose dont nous manquons terriblement… L'homme détruit la planète sur laquelle il vit mais, malgré tous les signaux d'alarme dans le rouge, il continue de plus belle…

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Caryl Ferey , c'est pour moi un auteur assez familier puisque j'ai lu , avec toujours le même intérêt , les " Zulu , Mapuche , Utu ou autre Haka " .Je sais qu'avec lui , il faut " s'accrocher " , tant sur le plan culturel qui " inonde " ses propos et sur la violence qui les accompagne . Bon , un homme averti en valant deux , c'est avec prudence que je me suis lancé dans la lecture de " Léd " , tranquillement , sur la pointe des pieds ....Le problème, c'est que je m'étais habillé comme pour ses précédents romans et que la température de - 60 degrés a vite eu raison de ma bravoure . Il faut dire aussi que , saisi par l'ambiance glaciale , j'ai croisé pas mal de personnes dont les noms m'ont quelque peu perturbé , embrouillé . 140 pages lues, je fais demi - tour et je rentre me changer !!!! Doudoune , bonnet , moufles , thermos , et nouveau départ pour l'aventure ...On reprend . Russie , grand nord sibérien . Norilsk une ville - usine bâtie au bout du monde , sur le site d'un ancien goulag , un décor dantesque avec des rues sinistres et des " barres de béton " dans un "triste état " ( euphémisme ) .Quant à la météo , " pourrie " avec des températures négatives extrêmes, de la glace , au mieux de la boue , en plein été ....Tout est figé , ou sale , ou balayé par des vents d'une force inouïe. Et oui , c'est là qu'il nous conduit pour ce nouvel opus , ce cher Caryl . Il sait décrire , il s'est même rendu sur place parce que , lorsqu'on veut faire du décor le personnage principal , il faut bien connaître le contexte et pour ça , quel travail remarquable .Tout y passe . La ville , son histoire , ses habitants , les enjeux économiques et politiques , les trafics , la corruption , une image qui nous fait remonter dans des temps lointains qu'on pensait révolus....On en apprend des " choses " et on reste ébahis devant tant de culture . Il y a sans doute quelques longueurs ( d'où l'importance d'être chaudement vêtus ) mais , comme toujours avec cet auteur , on s'enrichit ....Enfin , quand je dis qu'on s'enrichit, c'est " culturellement " parlant , hein ...Enfin en ce qui NOUS concerne , parce que , dans le bouquin , c'est pas le cas pour tout le monde ....Oui , il y a tout de même une enquête policière, fort intéressante au demeurant et "révélatrice de bien des choses " . Figurez - vous que le cadavre d'un éleveur de rennes est trouvé au pied d'un immeuble , le lendemain d'un ouragan ....Un éleveur de rennes en ville ....un soir de vents d'une extrême violence , par - 60 ...On a beau vouloir donner de plus en plus de place à la nature .. .. Ça me rappelle ce jeu avec des dominos ...Vous savez , on pousse le premier sur le second qui , lui - même s'écroule sur le troisième qui , à son tour ... Et bien , imaginez que le premier domino soit l' éleveur de rennes .....L'intrigue va s'accélérer après avoir laissé une longue place à l'environnement hostile , aux immenses cheminées, à la laideur ... Mais pas d'apparition d'esthétisme pour autant , faut pas rêver .....Pour la " fin " , il conviendra sans doute de délaisser le chaud bonnet au profit du casque de combat ....Est- ce qu'il y a du soleil dans ce roman ? euh ...Des sourires ? Bof . de l'espoir ? oui , si l'on n'est pas trop exigeant , voire pas exigeant du tout . Bon , en même temps , c'est du " Caryl Ferey " , Par contre , les personnages principaux ne manquent pas d'atouts pour nous émouvoir , chacun ou chacune à sa façon.
J'ai aimé ce nouveau roman de Caryl Ferey dont les qualités sont loin de s'être émoussées . La construction et l'expression sont brillantes et le côté didactique du roman est habilement mêlé aux propos , rattaché au contexte comme , par exemple , l'émouvante recherche qui conduira l'un des personnages à remuer les horreurs du passé.
Allez , couvrez - vous bien , l'hiver , dans nos contrées, il est brûlant à côté de ce qui vous attend . Une bouillotte ? Pas glamour ni vraiment pratique ..mais si vous y tenez . Par contre , Vodka , da , da , da....
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Sorte de « Germinal » des glaces, à l'ambiance prenante et aux personnages attachants, Lëd (« Glace », en russe) est le roman que Caryl Férey a écrit après son voyage éclair à Norilsk, en Sibérie. de ce voyage, initié par ses éditrices, sont nés deux livres : « Norilsk », récit de son périple dans cette ancienne ville goulag (dont je vous parlais la dernière fois), et « Lëd », ce roman policier de 500 pages dont l'intrigue se déroule à Norilsk. Si j'ai trouvé le réaliste « Norilsk » plus superficiel, j'ai en revanche été conquise par l'imaginaire de « Lëd ».
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Tout commence à -60°, lorsqu'un ouragan arrache le toit d'un immeuble comme on ôterait le couvercle d'une conserve, puis rejette les débris à terre… avec un cadavre déjà congelé. Il faut dire qu'à ces températures, c'est dur de creuser un trou où enfouir les corps gênants. Ils sont trois à découvrir le corps, qui s'avérera être celui d'un nomade éleveur de rennes : Gleb, photographe amateur et ouvrier dans les mines de cet ancien goulag devenu prison industrielle à ciel ouvert, Dasha, couturière et pole danseuse dans un bar de la ville, et Shakir, l'Ouzbeck chauffeur de taxi revenu détraqué d'Afganistan. Les trois étaient sortis malgré le danger pour s'assurer que personne n'avait été blessé par la chute du toit.
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Le problème du policier héritant de l'affaire est que pour interroger la peuplade d'éleveurs de rennes sur la victime (que faisait-il en ville seul et sans ses bêtes, quelqu'un lui en voulait-il, etc…?), il faut attendre la fin de la transhumance. En attendant, Boris se concentre sur les trois découvreurs de cadavres et apprend, sur le blog militant écolo d'une dénommée Valentina, que Gleb avait photographié la victime au sein de sa communauté quelques mois avant sa mort. Il connaissait donc la victime. D'ailleurs, on comprend assez vite que tout le monde ici est plus ou moins lié, ce microcosme se retrouvant notamment les soirs de fin de semaine au lieu de vie par excellence : le bar branchouille du coin où les liens se tissent et se défont, sous l'oeil alcoolisé des curieux, dont fait partie le lecteur. Mais pendant que l'enquête se poursuit, c'est au tour de Valentina d'être retrouvée sans vie dans une voiture congelée, autour d'un ancien zoo dont tous les animaux sont morts, zoo recyclé en… Je vous laisse découvrir.
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En effet, si l'intrigue elle-même nous tient sagement en haleine tout au long de cette lecture, c'est la découverte de l'ambiance de cette ville industrielle glacée au fil du texte qui fait le charme du roman, mettant en valeur toute la chaleur humaine qui s'en dégage. Caryl Férey parsème son texte de descriptions qu'il avait évoquées dans Norilsk, mais parvient cette fois dans ce roman, je trouve, à leur donner un corps et une âme. Dans son récit de voyage, pour moi, seuls les personnages en avaient. Mais ici, même si les personnages portent le roman, façonnés par le duo humour-humanité de sa plume, j'étais aussi complètement immergée dans le paysage. L'histoire tragique et désespérante de cette cité industrielle vibre à chaque page, ce qui m'avait cruellement manqué dans son récit de voyage.
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Je suis pourtant ravie d'avoir lu Norilsk avant ce roman, car il prépare le terrain à merveille, pose le contexte qui donne son relief à Lëd. Au début, j'ai craint que l'auteur ne se contente de recopier des passages de son récit pour camper le décor ; mais finalement, je m'y suis très vite sentie si bien et j'y ai trouvé tellement plus de matière, que j'ai plutôt vu ça comme des clins d'oeil, amusants à débusquer. Et ils sont nombreux : la description de la couleur des murs (le marron qui se marie au brun, et l'orange à rien du tout^^), les sourcils étonnamment dessinés d'une dame, l'horloge de 24 heures au lieu de douze pour s'y retrouver dans cette nuit perpétuelle, les numéros de rue énormes pour les repérer même dans la tempête de neige, les rues étroites coupe-vent, les toits sans barrière, ce décor de cheminées industrielles évoquant un paquebot, les « nerfs très russes » et j'en passe.
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Les personnages ne sont pas en reste : Ceux qui auront lu son récit de voyage préalablement retrouveront des descriptions physiques ou morales, des bouts de vie croisées au Zaboy, ce bar également transposé, que je place étrangement dans les personnages et non dans les lieux. Surtout, c'est la vie, la chaleur humaine qui illuminent ce roman et qui, combinée au blanc de la glace qui les entoure, en atténuent la noirceur. Noirceur de certaines âmes corrompues jusqu'à la moëlle (je rappelle qu'on n'entre et sort de cette ville qu'avec l'autorisation du FSB !), noirceur de la pollution qui tue les gens à 60 ans (la seule ville de Norilsk pollue autant que la France entière), noirceur des couloirs des mines où travaillent la majorité des hommes de la ville, avec tous les accidents et problèmes de santé que cela implique. Noirceur des avenirs de ces prisonniers de la fatalité (Norilsk est un ancien goulag), une fatalité qu'ils prennent à bras le corps chaque jour tenter de percer cette nuit, noire, qui menace de les engloutir.
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Et parmi tout cela des sujets de société tels que l'homosexualité dans ce genre de régime politique, la place des femmes et de leur corps dans la société, les guerres, l'écologie évidemment, la corruption et bien d'autres. Rien à reprocher à la construction ni à la progression très régulière de l'énigme, savamment emmitouflée dans les liens tissés entre les gens. Au total, j'ai été vraiment charmée rendu de ce roman : je l'ai trouvé humainement touchant autant qu'efficace. L'énigme policière n'y prend pas plus d'importance que les gens, les lieux, leur histoire. J'ai particulièrement aimé la manière dont, à travers ses personnages, l'auteur rend un hommage évident aux personnes qu'il a réellement rencontrées, et qui lui ont demandé de mettre en valeur leur communauté lumineuse. Merci à Cancie de m'avoir donné envie de découvrir l'ambiance de ce « Germinal » des glaces, que je vous invite à découvrir par vous-même !
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critiques presse (1)
LesComics
11 mai 2022
Une BD d’enquête/thriller violente et sans concession. Maîtrisant tous les codes du genre à la perfection, et offrant une prestation artistique de très haute volée. Un récit d’ores et déjà immanquable pour tous les amateurs du genre, ou ceux qui voudraient le découvrir.
Lire la critique sur le site : LesComics
Citations et extraits (136) Voir plus Ajouter une citation
Les jours de tempête, les bus circulaient en convois pour évacuer les passagers en cas de panne. En ville, un piéton pris dans une bourrasque pouvait atteindre le deuxième étage d'un bâtiment en volant. Pour éviter ce désagrément, il fallait s'accrocher aux murs, aux feux, aux panneaux de signalisation, s'associer à d'autres pour former une chaîne humaine sous peine d'être plaqué au sol et traîné sur des dizaines de mètres. Les vieux en faisait des attaques, les ados depuis leur chambre filmaient avec leurs portables en se marrant.
Grimpé sur la tablette fixée à hauteur de la fenêtre - son "perchoir", comme il l'appelait - Gleb observait sa ville, Norilsk, une épopée devenue tragédie à grande échelle dont les habitants d'aujourd'hui n'étaient que les derniers rejetons. Des survivants de tout. Car si le goulag de Norilsk avait disparu dans les poubelles de l'histoire, eux restaient des prisonniers...
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Trois collines cernaient Norilsk : le mont Schmidt, gorgé de charbon, Rovdnaïa, où se situaient les mines les plus riches, et le mont Chikha, d’où l’on extrayait les matières premières pour le bâtiment. Le vent faisait des traînées de poudre blanche sur l’asphalte transi. Gleb n’était pas venu dans les parages depuis deux ou trois ans, préférant les escapades sauvages dans la toundra ; l’ascension ne laissait voir que des champs de carcasses, de tuyaux, de wagonnets abandonnés, de bidons, de tubes de pipeline défoncés, de voitures et de bus aux vitres explosées, de structures comme des bunkers éventrés. Tout était renversé, jeté cul par-dessus tête et laissé là au temps. À quoi bon démolir, transporter, recycler : il y avait des carrières partout déjà pleines de machines et de matériel usagés, des casses à ciel ouvert pourrissant éternelles, comme les sous-marins atomiques dans la mer de Barents …
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Peu propice au changement, la dolia expliquait la capacité des Russes à supporter l’insupportable, à considérer l’inégalité comme normale, la répartition des biens étant ce qu’elle était avec le devoir de s’en contenter. On n’aimait pas trop que les gens sortent la tête de l’eau : on avait plutôt tendance à la remettre dans le bouillon. Ainsi, les filles étaient éduquées pour être belles, à leur place, surveillées de près par les pères, avant le beau mariage qui les catapulterait gérantes de foyer. On les aimait douces, modestes et passives, les garçons corpulents, actifs, bagarreurs. (page 93)
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Valentina Oulianova pourfendait Norilsk Nickel dans une diatribe enflammée où, extraction minière et crise climatique faisant mauvais ménage, elle envisageait la résurgence de maladies confinées dans le permafrost depuis des millénaires, des virus oubliés ou qu’on croyait éradiqués ; autrement plus létales que les Covid ou Ebola, ces nouvelles pandémies pourraient balayer l’humanité qui, en ayant pris soin de détruire les forêts primaires ou les habitats originels, se serait coupée des moyens de découvrir l’antidote laissé gracieusement à disposition par la nature… (page 119)
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Décidant « d’éduquer » les Nenets sous prétexte qu’ils vivaient dans des huttes, les soviets avaient parqué les nomades dans des villages en dur, volant leurs rennes ou les regroupant avec eux dans des kolkhozes. L’autorité des chefs de clan et le chamanisme déclarés contre-révolutionnaires, on avait emprisonné les contrevenants par centaines dans des goulags où ils ne comprenaient rien à ce qui leur arrivait. Le Tsar rouge avait décidé de créer un homme nouveau, un fer de modernité qui exigeait l’oubli total du passée et des anciennes règles, sous peine d’être accusé de sabotage, mais les Nenets n’avaient justement que le passé pour survivre : quand l’un d’eux traversait une rivière à bord de son traîneau, il enregistrait chaque pli de la terre, tous les détails de l’environnement emmagasinés dans le cerveau qui lui servait de carte, ces savoirs qui se transmettaient de génération en génération pour leur permettre de survivre dans un univers aussi hostile.
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Vidéo de Caryl Férey
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