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Critique de HundredDreams


Rencontré il y a quelques temps déjà avec son remarquable roman « Zulu », je m'étais promise de revenir un jour vers cet auteur. Mais Caryl Ferey est un auteur qui bouscule et s'exprime sans détour, sans ménagement. Son style très noir, sa plume acérée et sanglante, ses intrigues immersives, ses scènes d'action violentes, voire sordides, me causaient une certaine appréhension.
Pour autant, si ses récits sont corrosifs, crus, extrêmement durs, j'apprécie sa façon d'emmener ses lecteurs dans les régions du monde dignes des plus belles cartes postales et d'en révéler l'envers du décor.

Alors, malgré ma sensibilité à fleur de peau concernant les souffrances animales, j'ai fait confiance à @Afriqueah, merci Francine, et la magie des livres m'a permis de voyager en Afrique Australe, dans le Kalahari, à la frontière de la Namibie, de la Zambie, du Botswana et du Zimbabwe. Là se rassemblent d'immenses réserves naturelles et plusieurs parcs nationaux afin de faciliter les migrations saisonnières des animaux sauvages.
Si le récit est sombre, ponctué de quelques scènes de braconnage dures, elles sont heureusement courtes et sans excès descriptifs. Ainsi, par un magnifique plaidoyer en faveur de la cause animale, ce polar ethnique se rapproche également du roman engagé.

« … un monde sans animaux sauvages n'est pas un monde. La beauté gratuite qu'on éprouve à leur contact… »

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Pour résumer l'histoire en quelques mots, le cadavre d'un jeune pisteur khoï est retrouvé en plein coeur de la réserve privée de Wild Bunch en Namibie. Il ne fait aucun doute qu'il a été assassiné. La ranger Solanah Betwase et son adjoint Seth Shikongo sont chargés de l'enquête.
À ce meurtre, s'ajoute une recrudescence d'animaux sauvages retrouvés piégés, tués, amputés, ou prélevés vivants, qui laissent deviner un trafic d'animaux d'envergure et un lien possible avec l'homme tué.

Les doutes des deux rangers s'orientent rapidement vers John Latham, le propriétaire de la réserve de Wild Bunch dont le passé, trouble, interroge. Homme énigmatique et solitaire, son profil est tantôt séducteur, tantôt obscur.

« D'étranges rumeurs couraient sur Wild Bunch ; elles disaient que des hommes s'y transformaient la nuit, que les empreintes de leurs pas disparaissaient soudain du sol, qu'ils devenaient lions, ou léopards, qu'ils tuaient au hasard ceux qui s'aventuraient sur leur territoire, qu'on retrouvait des cadavres lacérés au-delà des clôtures électrifiées, à demi dévorés… »

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L'auteur maîtrise parfaitement la narration, multipliant des intrigues secondaires, alternant drames et humour. Son écriture est fluide, très agréable à lire, avec une vraie tension allant crescendo. Il émane même une sorte de poésie sombre dans les descriptions des paysages, de la faune.
Caryl Ferey prend beaucoup de soin à caractériser ces personnages principaux. Leur psychologie est développée avec soin, les rendant attachants ou antipathiques, impénétrables ou facétieux.
De plus, l'auteur croise avec habileté leur histoire personnelle avec l'intrigue.

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Caryl Ferey tisse une intrigue prenante sous fonds de braconnage d'animaux sauvages.
L'enquête est rythmée, sans temps mort, mais avec ce petit supplément d'âme et d'authenticité par sa dimension géopolitique et transfrontalière, écologique et environnementale, humaine et sociétale.

On suit les deux enquêteurs dans des décors très visuels où la nature est magistralement mise à l'honneur. Pour nous rendre ces décors authentiques et mieux ancrer son récit, l'auteur s'est beaucoup documenté au préalable, il s'est déplacé également en Namibie : cela se ressent tout du long, dans sa façon de poser un regard éclairé sur la vie quotidienne de la population locale au contact de ces animaux sauvages. Les peuples autochtones ont une connaissance très profonde de leur environnement, des animaux sauvages, fondée sur des siècles de vie en étroite relation avec la nature.

Le récit est teinté d'un profond respect pour les animaux. Dans cet environnement sauvage et diversifié, la faune y abonde. le delta du fleuve Okavango, le semi-désert du Kalahari, les paysages de plaines et de savane sont autant de territoires pour les grands mammifères, lions, guépards, éléphants, rhinocéros, lycaons, crocodiles, …, qui participent à l'intrigue et aux multiples rebondissements.

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Caryl Ferey interroge sur la relation de l'homme avec la nature et la faune.
Dans ce cadre, l'auteur offre une vision de la réalité sur le trafic d'animaux, sur le commerce de certains animaux qui font peser une menace sur ces espèces, sur la demande toujours plus pressente d'une clientèle souvent asiatique en quête de traitements anticancéreux ou aphrodisiaques à base de cornes de rhinocéros, de parties génitales de lion, …, pour malheureusement, de fausses vertus thérapeutiques, imputant leur responsabilité quant aux massacres d'animaux en Afrique par des groupes de crimes organisés.

« Ivoire, cornes, peaux, écailles de pangolin, dents, griffes, testicules, tout se vendait sur les marchés parallèles, alimentés par des tueurs professionnels ayant combattu dans différents conflits et qui n'avaient pas peur des brigades anti-braconnage. »

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Pour conclure, Okavango est un formidable voyage à travers un pays lointain, mais aussi une rencontre avec ses habitants, leur culture, leurs traditions, leurs croyances. Il offre un dépaysement total en immergeant ses lecteurs dans une nature namibienne envoûtante, aussi fragile que pleine de dangers.
Finement mené, profondément humain, ce polar est une belle réussite de par son intrigue captivante et moins brutale que ses précédents romans, par ses personnages complexes auxquels on s'attache forcément, son écriture juste, par ses décors éblouissants, par sa conscience écologique et l'urgence à protéger la vie sauvage.
Un monde où la vraie beauté consiste à vivre en harmonie avec son environnement.
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