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Critique de Merik


Il faut se méfier des noms, surtout dans les romans. L'Embellie dirigée par Mme Annick Joyeux n'annonce pas vraiment la tourmente à venir d'une de ses enseignantes, Claire Bodin, même si elle a tout pour être heureuse en ce début de roman. Il faut dire qu'elle se contente de peu, au grand dam de son entourage. Claire Bodin n'est pas vraiment le genre de personnage romanesque à la tonalité contemporaine d'une émancipation féminine ou d'une réinvention de modèle familial, au contraire, elle s'inscrit dans la plus pure tradition du siècle dernier en revendiquant son statut de femme peu impliquée dans la vie professionnelle, dépendante de son mari, heureuse d'avoir du temps à disposition pour la maison et son fils, épanouie par ses quelques heures à dispenser à l'Embellie pour aider les jeunes en grande difficulté. Elle aurait même la silhouette d'un anachronisme, avec ses accointances avec l'Église le dimanche, et sa pédagogie adepte de Pygmalion, à base de dynamisme et d'affection. Mais un anachronisme qui aurait du mal à passer dans les rouages de nos systèmes contemporains, à commencer par la direction de Mme Annick Joyeux, engoncée dans sa rigidité institutionnelle. Peut-être aussi les parents, notamment ceux de Gabriel Noblet, nouveau venu timide dans cet établissement. Peut-être même carrément pour la société en général, au cas où les choses venaient à déraper.

Attention, ce livre n'est qu'un roman. Un très bon roman. C'est à dire qu'il procure par ses éléments une illusion de réalité parfaite, il n'y aurait pour s'en convaincre qu'à imaginer ce que pourrait donner une affaire Gabrielle Russier aujourd'hui dans un monde exacerbé par les affaires de harcèlement et d'agressions sexuelles, ou se tourner vers ses histoires contemporaines de famille d'accueil déboutées par excès d'amour. Un très bon roman parce qu'il dépose aussi sa litanie de questions dans la tête du lecteur, en le poussant à la réflexion sur ce qui a bien pu faillir dans cette histoire, entre personnalités, système et époque. Quelle posture pour les éducateurs, quand la bienveillance souhaitée peut se teinter de sentiments, avec un éventuel boomerang ? Comment faire entendre et préserver le lien de co-éducation souhaité, entre familles et éducateurs ? Les familles peuvent-elles se sentir dépossédées ? Comment démêler l'innocence dans l'écheveau d'un emballement de soupçon toxique ? Quand il y a des innocents en présence, le coupable peut-il être ailleurs, dans les failles et les dérives d'un système par exemple ? Comment la chasse aux sorcières du harcèlement et des agressions sexuelles dans notre société génère-t-elle des erreurs ? Quelle place pour le coeur ?

Alice Ferney s'en est posée bien plus encore de questions, elle y a planté les piliers de sa fiction plus vraie que nature. Au long des trois cents pages de son roman, elle dissèque, scanne, explore et avance d'une plume déterminée les tenants et les aboutissants de son histoire glaçante. Elle en décortique les travers glissants par les faits et les personnalités - engluées pour certaines dans la posture rigide d'un système déviant, et enferme au compte-goutte le lecteur dans le tourbillon infernal de ses innocences piégées. Son écriture serrée, précise, se grave dans des couches sédimentées d'émotions et de sentiments, au gré des errements de son personnage principal, son innocence principalement mais aussi ses erreurs, ses petits arrangements avec la vérité ou ses négligences, tout en le tenant à distance du pathos telle une marionnettiste, et en l'enfermant peu à peu dans l'étau du piège qui se profile. Mais elle tient surtout son lecteur de bout en bout dans cette lente descente aux enfers, dans les filets d'une narration chronologique pour l'essentiel, sans fioriture ni mystère, fluide et implacable.

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