Des livres et une Rolls

'A l'âge de vingt ans, je voulais être le roi du monde, une sorte de combinaison de J.P. Morgab=n, de général Ludendorff, d'Abraham Lincoln et de Nietsche. Sans oublier Shakespeare." Il s'interrompit ici. Le sous-entendu est qu'il caresse encore l'espoir d'être tout cela.

"Or la cure habituelle, pour qui a sombré, consiste à penser à ceux qui sont dans l'indigence ou la souffrance physique - c'est là une béatitude pour tous les temps pour la dépression en général et un conseil diurne assez salutaire pour chacun. Mais à trois heures du matin, la cure n'opère pas - et dans une nuit vraiment noire de l'âme, il est toujours trois heures du matin, jour après jour. A cette heure, la tendance est de refuser d'affronter les choses aussi longtemps que possible en se retirant infantile - mais on est constamment tiré par divers conflits avec le monde."

Dotés de jeunesse, santé, beauté, amour, amis, argent, plaisir, ses Anthony et Gloria, qui incarnent le couple de jeunes mariés new-yorkais prospères, sont désespérément, irrémédiablement « damnés », brisés dans leur corps et leur esprit ; l’un d’eux est un alcoolique accompli, l’autre en voie de le devenir, avant la fin de l’histoire.

Ces jeunes en savent plus que toutes les générations précédentes, mais ils pensent évidemment en savoir encore plus qu’ils ne savent. La seule façon de les traiter, c’est de laisser faire la vie.

Elles se calent avec suffisance dans leurs fauteuils et regardent leurs maris trimer pour elles ; sans leur dispenser aucun des agréments de la vie, elles en exigent le type d’attention constante que pourrait obtenir une charmante fiancée. Elles en font des fauves domptés. Ce sont des harpies et des viragos qui ne cessent de harceler et de tancer les hommes jusqu’à les rendre stupides.

Je pense, me confia-t-il ingénument, que se contenter d’être amoureuse, vraiment amoureuse – s’y consacrer vraiment, vous comprenez – est un travail suffisant pour une femme. Si elle tient sa maison comme il faut, si elle se pare pour son mari quand il rentre le soir, si elle l’aime, l’aide dans son travail et l’encourage – eh bien, je crois que c’est le genre de travail qui la sauvera. Ce n’est pas facile, vous savez, qu’être amoureux et le faire durer.

Les filles, par exemple, sont passées de la pureté chimique à la largeur vue, au charme intellectuel, à l’intelligence primesautière. On comprend qu’elles veuillent être intéressantes. Car il est un fait que la jeune génération ne pouvait négliger. Tous, ou presque tous les hommes et femmes célèbres de l’histoire – ceux qui ont laissé une marque durable – ont adopté un point de vue moral large, pour le moins. Notre génération s’est imprégnée de tout cela. Cela explique que nous voyions la jeune femme de 1920 flirter, embrasser, envisager la vie avec légèreté, dire “merde” sans rougir, courtiser le danger de façon immature – une femme fatale avec l’esprit d’un bébé. Il en va tout à fait de même pour les garçons. Ils veulent ressembler aux types fascinants dont les livres leur parlent.

Par style, je veux parler de couleur. Je veux être à même de tout faire avec les mots : manier des descriptions cinglantes, enflammées à la Wells, recourir au paradoxe avec la clarté de Samuel Butler, l’ampleur de Bernard Shaw et l’esprit d’Oscar Wilde.

Le peuple américain commence juste à prendre conscience du fait que le succès s’obtient avec peine. Il a été facile dans le passé. Mais c’est une erreur de croire que l’intérêt croissant des auteurs pour les difficultés économiques de leurs personnages est chose nouvelle dans la littérature américaine. Nous l’avons déjà connu avant-guerre chez Jack London, Edna Ferber, Fannie Hurst et Ida Tarbell avec son histoire de la Standard Oil. L’un des effets de la Dépression, c’est que les jeunes auteurs débutants n’ont qu’une chance sur cent d’obtenir un public ; les éditeurs n’ont pas seulement réduit les offres, mais ils ne s’intéressent qu’au gros gibier.

Avant trente ans, un homme est un “contemporain”, mais après cela il y a quelque chose de fort peu satisfaisant à solliciter son opinion sur la jeune génération, à la nature toujours mouvante.