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Critique de Lesaloes


La poignante nostalgie du Paradis perdu

“ You are a lost generation. Vous êtes une génération perdue.”
Gertrude Stein in conversation
Exergue du roman d'Ernest Hemingway, le soleil se lève aussi, 1926

Il aura été très difficile à Scott Fitzgerald, et on peut le comprendre, de se maintenir tout au long de Tendre est la nuit sur les hauts sommets de sa géniale première partie. Tout y est, le brio du procédé littéraire du long plan-séquence d'une caméra subjective, celle du regard que Rosemary Hoyt, jeune actrice hollywoodienne de dix-huit ans, promène sur le couple de Dick et Nicole Diver, exilés volontaires en France et leur groupe d'amis installés à l'hôtel du Cap d'Antibes qui inventent et lancent la mode, dans ces années 1920, de la saison estivale de la Côte d'Azur, jusqu'alors désertée par l'aristocratie anglaise, qui y réservait son séjour en hiver, et russe, ruinée par la Révolution de 1917.
On y retrouve la grâce du couple fusionnel, Dick et Nicole, « un alliage indissoluble, dont les atomes se seraient associés sans qu'on pût jamais les séparer. » (livre II, 9) ; le chic distingué de Dick, élégant, irrésistible, à qui Rosemary avouera en toute spontanéité lors de sa première invitation à sa villa Diana de Tarmes « Je suis tombée amoureuse de vous au premier regard ».
Enfin, dans leur sillage, dans ce monde brisé de l'après-guerre, la frénétique aventure des Années folles, les Roaring twenties, qui les entraîne des champs de bataille de la Somme aux boutiques et palaces parisiens, avec mélange d'insolente richesse, flots d'alcool et nuits d'ivresse, amours romantiques, sans oublier les frissons d'un duel sur le terrain de golf de Cannes ou d'un assassinat commis dans leur chambre d'hôtel ! Avec la révélation, à l'extrême fin de cette première partie, des premiers signes du drame qui couve et qui fera basculer le récit.
Après cette virtuosité, les seconde et troisième parties du livre, plus conventionnelles et d'un rythme moins intense, se développent sur le jeu temporel du retour en arrière axé sur la personnalité de Dick et la poignante révélation des crises de schizophrénie de Nicole, traumatisée par son inceste, soignée dans une clinique suisse par son psychiatre, Dick lui-même. Il finira par céder à leur attirance réciproque malgré sa résistance déontologique au transfert psychanalytique de sa richissime patiente, toute offerte à lui et qu'il épousera par amour « Je me souviens de l'état dans lequel j'étais quand je vous attendais dans le jardin, lorsque je tenais dans mes bras tout ce que j'étais, comme une corbeille de fleurs. C'était comme ça que je me voyais, en tout cas - je me trouvais si mignonne - à attendre de vous offrir cette corbeille. » (II, 9).
C'est alors la fin de l'insouciance, de l'âge d'or marqué par le futur Krach de 1929, sous le signe de la mort, celle de son ami le compositeur Ab North tué dans un speakeasy new-yorkais, du propre père de Dick, pasteur de son état, et la conclusion sans amour d'une romance entamée à Antibes quatre ans plus tôt au livre I avec Rosemary retrouvée à Rome « Elle voulait être prise, et elle le fut, et ce qui avait commencé sur une plage comme une toquade puérile fut enfin consommé. » (II, 20).
Dans sa dernière partie, se dénouent enfin les derniers liens de Nicole guérie qui s'émancipe de la tutelle de son docteur de mari. « Alors Nicole se détendit, et se sentit renaître, heureuse ; ses pensées résonnaient aussi clairement que de bonnes cloches : elle avait l'impression d'être guérie, et d'une manière nouvelle. Son ego se mit à s'épanouir comme une rose somptueuse, tandis qu'elle s'évadait en luttant des labyrinthes dans lesquels elle avait erré depuis des années. »
Le couple se défait et Dick, après le divorce annoncé et la flamboyance de son paradis perdu, se retrouvera à gagner petitement sa vie comme médecin généraliste aux Etats-Unis, loin de ses enfants et de Nicole qu'il a aimée, épouse d'un bellâtre baroudeur de leurs amis.
Un chef-d'oeuvre de poignante nostalgie, écho émouvant et autobiographique de Fitzgerald et de sa femme Zelda qui ont nourri le roman. Celui d'une fin d'époque et de témoignage sur un monde que la Génération perdue aura initié, tourisme de masse, civilisation d'une consommation à outrance, american way of live qui vont marquer durablement pour le siècle naissant le vieux continent européen et la planète. Un très grand livre.
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