Une saison d'été, trois amis d'enfance qui retournent dans le quartier populaire qui les a vus grandir, et se retrouvent à un moment charnière de leur vie, la petite vingtaine, un pas dans les études, l'autre dans la vie active, selon les parcours. Thomas a échoué dans ses études supérieures et se fait embaucher comme saisonnier dans l'usine de son père, désormais retraité, poussé par Medhi qui y travaille déjà. Louise, soeur jumelle de Thomas, va démarrer un thèse en sociologie sur les ouvriers français transfrontaliers, on est tout proche de l'opulente Suisse.
Thomas Flahaut a beaucoup de talent pour saisir cet étrange moment, comme flottant, du passage à l'âge adulte, lorsqu'on réalise les écarts sociaux, déjà présents dès le départ, qui se sont creusés par les études, rendant pour certains l'entrée dans le monde du travail difficile. le personnage de Thomas est souvent touchant, perdu dans son échec alors que son père, cassé par l'usine, rêvait d'ascension sociale plutôt que de voir son fils trimer dans son usine. Les dilemmes de Louise sont également très justement décrits, entre son désir de reconnaissance et la peur de trahir son milieu, elle qui utilise les codes des sciences humaines pour observer cet univers ouvrier paternel, et qui doit le faire avec objectivité alors qu'on sent en elle la volonté de rendre justice par l'écriture de sa thèse.
Les personnages sont intéressants. Ce sont les interactions qu'ils ont entre eux qui m'ont moins convaincues, un peu trop schématiques et attendues. Lorsque je décrochais, la belle écriture de
Thomas Flahaut m'a souvent ramenée à son texte, portée par une voix sincère, profondément sincère.
En fait, ce qui m'a le plus intéressé dans ce roman, ce ne sont pas les personnages ni le romanesque insufflé et tissé en eux, c'est l'horizon quasi sociologique et éminemment politique de ces mots qui parlent de l'héritage ouvrier, des mutations de ce monde avec une authenticité vibrante. Il dit magnifiquement le corps à corps de l'homme avec la machine et le travail aliénant. Il réinterprète la lutte des classes dans le monde contemporain actuel, l'usine du livre étant désossée, avant fermeture, par les actionnaires suisses sous le regard des ouvriers, ceux en CDI et les intérimaires qui font le même travail mais dont la précarité les empêche de se dire ouvriers.
C'est là que ce roman ultra sensible m'a touchée, dans la mélancolie de ce monde qui disparaît. La citation en exergue de L'Établi, écrit par
Robert Linhart au lendemain de mai 68 ( également cité par
Leurs Enfants après eux, de
Nicolas Mathieu, comme une évidence ) prend tout son sens lorsqu'on referme les pages.
Lu dans le cadre du collectif Les 68 premières fois