Thomas et Mehdi, amis d'enfance, travaillent tous deux à l'usine de leur région, dans l'est de la France, à la frontière de la Suisse, comme leur père avant eux. Sauf que ceux-ci étaient intégrés à l'entreprise. Ils étaient titulaires d'un CDI qui leur conférait un statut d'ouvrier, leur apportant par la même occasion la culture et le sentiment d'appartenance qui vont avec.
Thomas et Mehdi, eux, sont intérimaires, et donc plus prolétarisés encore que ne l'étaient leurs aînés. Un jour ici, un autre là. Contraints de travailler de nuit. D'accepter des missions à des kilomètres lorsque le travail, nomade, exige de la main-d'oeuvre ailleurs… Une trajectoire bien différente de celle que leurs parents avaient imaginée pour eux, croyant que les études et l'ascenseur social leur garantiraient une meilleure situation.
La couleur du roman de
Thomas Flahaut est résolument sociale. A travers l'histoire de ses deux personnages principaux, il peint parfaitement le déclassement, la dissolution de la classe ouvrière, le recours à la novlangue censée faire écran à la violence de ce qui est imposé et, plus que le désenchantement, le désarroi d'une jeune génération privée de la moindre perspective d'avenir. Il pose un regard très pertinent sur la transformation du monde du travail, en particulier du travail ouvrier, et la manière dont les individus intègrent ces dérèglements jusqu'à adopter parfois des postures pernicieuses qui accentuent encore la précarité de leur situation et peuvent conduire aussi à l'implosion de la cellule familiale.
Mais j'ai regretté pour ma part l'atmosphère très froide qui règne dans ce roman. Certes, elle convient peut-être au sujet, pour traduire l'errance psychique des différents personnages, y compris celle de Louise, la soeur de Thomas, qui semble pourtant sur le point d'accomplir cette fameuse ascension sociale. Etudiante en sociologie, elle prépare en effet une thèse sur les mutations du travail en zone frontalière. D'une certaine manière, la fiction prend donc en charge l'axe d'analyse de ce qui nous est raconté. Pourquoi pas ? Pourtant cette double focale m'a laissé un sentiment étrange. Comme si, en choisissant le roman, l'auteur s'était écarté de son projet initial pour s'engager sur une voie secondaire. Pour ma part, ce sont les réflexions de la jeune femme qui m'ont le plus intéressée. Et c'est cette voix-là que j'aurais aimé entendre davantage. Car de toute évidence, l'auteur sait parfaitement de quoi il parle, et je suis certaine qu'il aurait encore long à dire sur le sujet.
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