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EAN : 9782330108717
432 pages
Actes Sud (22/08/2018)
3.97/5   5915 notes
Résumé :
Août 1992. Une vallée perdue quelque part à l’Est, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a 14 ans, et avec son cousin, ils s’emmerdent comme c’est pas permis. C’est là qu’ils décident de voler un canoë pour aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui co... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (814) Voir plus Ajouter une critique
3,97

sur 5915 notes
Prix Goncourt 2018, "Leurs enfants après eux", des destins avortés entre espérance et réalité.

Dans l'Est de la France et ses hauts-fourneaux fermés, Nicolas Mathieu nous parle de « vies minuscules » pleines d'un espoir majuscule.

Moi, si j'étais un homme...
Cette chanson de Diane Tell rapidement évoquée dans ce livre pourrait peut-être en être l'esquisse.

Lorsqu'on a 14 ans et que l'on vit dans une région sinistrée par la désindustrialisation, on rêve d'un ailleurs différent. Entre le corps qui se transforme et les premiers émois à la vue d'une goutte de sueur s'écoulant entre deux seins, ou en piquant une barque pour aller voir plus loin, c'est comme découvrir une nouvelle contrée. C'est l'aventure qui commence.

Anthony ne veut pas de la vie qui l'attend : « licencié, divorcé, cocu ou cancéreux ». Dans son monde, « Les hommes parlaient peu et mouraient tôt ». C'est élevé dans ce milieu, « sur de grandes dalles de colère, des souterrains de peine agglomérées », qu'il ambitionne d'être quelqu'un d'autre, ne plus vivre sa vie à moitié, prisonnier de rouages qu'il ne maîtrisera jamais. Il veut exister.
Et, pour ça, il ne voit qu'une solution : « foutre le camp » !

Les années 90 en quatre étés
Une écriture à fleur de peau. Nicolas Mathieu met en scène Anthony, Hacine, Stéphanie, Hélène, Patrick et tous les autres par les descriptions charnelles de leurs sensations, de leurs émotions. le contexte est introduit culturellement par de nombreuses évocations d'objets ou de sujets typiques des années 90, et socialement, avec un portrait d'une ville imaginaire détaillée entre petits-bourgeois, familles populaires et « cassos ».

L'action se déroulera sur quatre étés : 1992, 1994, 1996, 1998. Et quatre chansons : Smells like teen spirit, You could be mine, La Fièvre et I will survive. Toute une époque restituée.
Une écriture à fleur de coeur. L'auteur replonge dans la jeunesse, avec des frissons dans le corps, de ceux qui ont connu cette période.

Mais Leurs enfants après eux n'est pas seulement un roman d'initiation ou générationnel. Nicolas Mathieu connaît l'art d'émouvoir mais aussi celui de dépasser les clivages.

Une vie à corps et coeur perdus
Être raisonnable, c'est ce que toute leur vie leur enjoint de faire : leurs familles résignées, les formations sans débouchés, les administrations donneuses de leçons ou les emplois abrutissants. Se taire, ne pas faire de vague, accepter sa condition. Mais à 14, 16, 18 ou 20 ans, on n'a pas l'âge d'accepter une « vie à peu près », une « vie peinarde et modérément heureuse », et se satisfaire « de salaires décents et d'augmentations raisonnables ».

Fuir, partir, tout quitter, tout sauf cette « vie réduite et anesthésiée ». Et en attendant le grand soir, avant le « pincement des petits matins blêmes » s'oublier dans la drogue ou l'alcool, s'occuper avec des menus larcins ou construire des trafics interdits mais remplis d'espoir, se griser de vitesse sur un vélo, une mobylette ou une moto. Courir, s'échapper. Et aimer, s'enivrer d'amour à en crever. Si comme dans la chanson de Diane Tell, être un homme, c'est être romantique, Anthony l'est, le problème est que la vie ne l'est pas avec lui.
« le paradis était perdu pour de bon, la révolution n'aurait pas lieu ; il ne restait plus qu'à faire du bruit ».

Ce serait donc ça être un homme ? Se contenter, se résigner, accepter sa condition ?
« Moi, si j'étais un homme, je serais capitaine ». Anthony, Hacine ou Stéphanie sont tous dans le même bateau. Un bateau « vert et blanc », comme dans la chanson. Deviendront-ils capitaines de leurs navires, maîtres de leurs existences ? Pourront-ils s'arracher aux affres de la reproduction sociale et du conditionnement culturel qui les étreignent et les empêchent de mener une vie libre.

À l'aide de personnages attachants et puissamment romanesques, Nicolas Mathieu nous offre une superbe ode à la liberté et une farouche dénonciation de l'injustice sociale.

À lire avec l'idéal d'absolu qui le caractérise, "Leurs enfants après eux", portrait d'une jeunesse qui refuse de vivre au rabais, bouleversant de justesse par son besoin illimité d'exister.

« De la vitesse, de l'oubli, à l'infini ». Merci Nicolas Mathieu.

Lu en septembre 2018.

Mon article sur Fnac.com/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Prix-Go..
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Voilà, c'est fini, déjà et, comme à chaque fois que je "sors"d'un bouquin qui m'a vraiment tenu en haleine comme celui-ci, les questions qui m'assaillent sont nombreuses. D'abord, moi qui suis d'une "autre génération", plus ancienne et qui ai donc vécu une autre adolescence, bien différente, aurais-je aimé vivre auprès d'Anthony, Hacine, Coralie, Steph et Compagnie dans ce bourg d'Heillange à la même époque? Heillange, c'est pour ces jeunes le désoeuvrement, la drogue, l'alcool, les menus larcins, la prise de conscience que, rester sur place, c'est se condamner à vivre la vie étroite et sans grand avenir, des parents. Le seul horizon, le seul espoir de liberté, c'est le départ vers un ailleurs plus attrayant, moins glauque et désespéré.
Il sera très curieux de constater que tous, sauf Steph, seront condamnés à se retrouver à leur point de départ, après avoir entrevu l'espoir, au Maroc pour l'un, au service militaire pour l'autre....
Ah, et puis, il y a la libération des moeurs, l'envie de "baiser"sans entraves mais pas sans préservatif , les maladresses, les envies de jouir sans envisager d'autre lendemain que le plaisir d'un soir....Et puis, de l'humour aussi, c'est vrai qu'il s'est souvent révélé gênant, ce satané frein à main et son copain, le levier de vitesse !!!!!
Les personnages sont touchants, irritants, séduisants, têtes à claques, paresseux, insolents mais tellement "attachiants", des ados, plus gamins mais pas vraiment adultes dont l'horizon semble tout de même bien bouché.
Alors, pour beaucoup de raisons, et bien qu'issu d'un milieu très modeste, je n'aurais pas aimé vivre dans ce bourg et avoir 20 ans à cette époque car quoi, ils sont jeunes et les portes se sont déjà refermées sur eux, ce qui n'a pas été le cas pour moi, même s'il conviendrait d'en dire un peu plus, ce qui n'est pas le sujet.
Ce livre est admirable de finesse, de subtilités, bien écrit, variant remarquablement récit et dialogues. Pour moi, c'est un des meilleurs que j'ai lus cette année et, si j'en crois les critiques, je ne suis pas le seul. J'ai cru y retrouver parfois l'atmosphère de "Malataverne"de B Clavel, qui m'avait beaucoup marqué en son temps.
Non, je n'aimerais sans doute pas retrouver nos héros , mais, par contre,j jaimerais bien les retrouver, mes 20 ans, et "savoir ce que je sais", comme on dit....
Je vous conseille cette lecture, sans aucune hésitation , et quel que soit votre âge, on y retrouve tout le parfum de sa propre histoire.
Ah, un dernier mot: ma fille avait 20 ans en 1998....Elle a "fini " un soir de match, avec des camarades, dans la fontaine de la ville...Et 1, et 2, et 3...zéro.
Et si je lui proposais de le lire, ce livre, ce serait sans doute l'objet d'un bel échange entre un père et sa fille, non?
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*** Rentrée littéraire 2018 ***

Leurs enfants après eux.
Magnifique titre pour un roman qui l'est tout autant, de la première à la dernière ligne.

Leurs enfants après eux. Est-on condamné à mener l'existence de nos parents ? Peut-on conjurer le sort et lever la malédiction, quitte à prendre des chemins de traverse ? Ces pères, ouvriers au chômage qui rabâchent la mémoire ouvrière et donnent à ceux qui ne l'ont pas vécu le sentiment d'être passés à côté de l'essentiel. Ces pères immigrés, « suspendus entre deux rives, mal payés, mal considérés, déracinés, sans héritage à transmettre. » Ces mères qui «  finissaient toutes effondrées et à moitié bonniches, à ne rien faire qu'assurer la persistance d'une progéniture vouée aux mêmes joies, aux mêmes maux »

Anthony, Hacine, Clem', Steph', enfants de prolos, d'immigrés, de petits-bourgeois dans une Lorraine sinistrée depuis la fermeture des hauts fourneaux, ne se résignent pas à ces vies qui leur sont promises en héritage. Années 90. Ils ont 14, 16, 18, 20 ans au fil de quatre chapitres qui nous font plonger dans leur être le plus profond, leurs émois, leurs rêves, leurs fantasmes d'adolescents puis de jeunes adultes. Leurs rêves et leurs dépouilles.

Ce roman est juste formidable dans sa façon de parler de cette jeunesse qui va se désenchanter au contact de cette putain de réalité. Toute la beauté brute, l'incandescence de la jeunesse est décrite avec une subtilité dingue. Tout est juste dans cette chronique de l'adieu à l'enfance pour laquelle tout n'est que promesse avant de s'y casser les dents. L'intensité , la précision, la crudité de la langue permettent à l'auteur de faire jaillir des personnages tous très attachants. La vie pulse en eux et on ressent chacune de ses pulsations. Surtout lorsqu'on suit Anthony, le personnage le plus lumineux, coincé entre un père qui sombre et une mère qui le protège comme une louve. On le voit grandir, évoluer mais toujours attaché à ses rêves.

Moi aussi j'ai eu 14 ans en 1992 et 20 ans en 1998, comme les personnages, comme l'auteur. J'ai savouré toutes les références générationnelles qui parsèment les pages. Mais ce roman va au-delà de la simple chronique réussie d'une jeunesse à un moment donné.
Malgré toutes ces clins d'oeil qui nous renvoient aux années 90, le propos est ultra contemporain sur la France d'aujourd'hui. En 2018, les choses sont-elles si différentes lorsqu'on entre dans l'âge adulte ? le roman se fait alors chronique sociale, politique même lorsqu'il fait écho à la rage de ceux qui se découvrent coincés comme l'ont été leurs parents dans la précarité ou la sclérose intellectuelle.
Nicolas Mathieu dresse là une carte des territoires de l'immobilité sociale, de la France des périphéries avec une rare acuité. L'écart est terrible entre Anthony, le fils de prolo, et Steph', la fille de petits bourgeois dont il est tombé amoureux. Lui ne voit pas le fossé qui le sépare. Elle, oui, d'emblée. le propos est sombre, certes, mais ne tombe jamais dans le pathos, traversé par des lueurs d'espoir qui éclairent tout. Un grand roman sur l'arrachement et le décillement. Une superbe fresque sociale et politique par l'angle de l'intime.

A écouter en compagnie de Nirvana
https://www.youtube.com/watch?v=0TbtMFOtiBc

Lu dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire Price Minister - Rakuten France 2018
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Pas de long commentaire , Sébastien a déjà tout dit.
Août1992: une petite ville de l'est de la France, perdue, résignée, comme rouillée , abîmée,brisée à l'ombre des hauts - fourneaux éteints., un lac immobile , un aprés-midi de chaleur écrasante, odeur de goudron, de poussière sèche ....

Anthony a quatorze ans lorsque s'ouvre le roman .
Nous le suivrons durant quatre étés , lui et d'autres adolescents , Hacine, Clem ....pris au piège des barbelés d'une vie sans échappatoire où le temps semble s'être arrêté ....figé....
L'auteur dresse un tableau brillant ---hyper réaliste ----des doutes, du désoeuvrement , des premiers émois amoureux, des rêves encalminés , non aboutis noyés dans l'alcool , la poisse, la résignation sociale , la fin de l'enfance , le drame du licenciement du pére ....
La construction est originale, l'écriture est riche, précise, vibrante, dense, vigoureuse, acérée.
Même si la trame est sombre et si ce texte conte la vie d'hommes usés au travail, de vies par défaut, le malaise , le son de la télé monté au maximum , les factures , l'odeur des gauloises , les bêtises des jeunes, l'ennui , l'échec, les faux départs, la nostalgie et le déclin, il est éclairé, électrisé par la lumière de l'été , les désirs sexuels, la rage de vivre,les questionnements : tous rêvent de fiche le camp mais la plupart de ces jeunes sont condamnés à mener une existence semblable à celle de leurs pères.
Anthony, ce gamin jamais heureux à l'école, son pére, sa mére, Steph, qui lui échappe sans cesse et se refuse .....
Le texte emporte le lecteur par son acuité, son extraordinaire sensibilité comme si l'auteur avait vécu cette période.....
Un récit bouleversant , déchirant , énergique, rageur, qui nous prend aux tripes, lu dans le train dans l'urgence emportée par la justesse de ces brouillons de vies , de toute beauté !
Comme une carte postale géante de ces années - là, grave, lumineuse et vivement colorée à la fois!
Semblable à un film au ralenti de cette France de l'entre- deux,loin, très loin de la mondialisation sans frein, la France d'une époque...une tragédie où la jeunesse devra trouver sa voie dans un monde qui meurt .......

" Il en est dont il n'y a plus de souvenirs,
Ils ont péri comme s'ils n'avaient jamais existé;
Ils sont devenus comme s'ils n'étaient jamais nés ,
Et, de même, leurs enfants aprés eux . "
Siracide. 44, 9.



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Août 1992, à Heillange, petite ville de l'Est de la France, Anthony, du haut de ses 14 ans, s'ennuie ferme. Il n'y a rien à faire ici, pendant les deux longs mois d'été. Avec le cousin, pour tromper leur ennui, ils volent des canoës et naviguent au gré du courant, tentant d'échapper aux monos du club qui les poursuivent. Apercevant deux jeunes filles au loin, ils décident d'accoster sur une berge. L'air faussement désinvolte, ils les approchent et les retrouveront à une soirée, plus tard. L'été ne fait que commencer... L'adolescence aussi...

L'on suit pendant quatre étés durant, de 1992 à 1998, le destin d'une bande d'adolescents, ô combien attachants, issus de différents milieux sociaux. Pourtant, dans leur coeur, cette même envie de vivre. Pleinement, chichement, intensément. Partir et découvrir un autre que cette ancienne zone post-industrielle, vestige des hauts-fourneaux aujourd'hui éteints Ne pas s'engluer et subir la même vie que leurs parents, même si, pour certains, il ne pourra en être autrement. En quatre tableaux, en quatre étés, en quatre saisons chaudes et étouffantes, Nicolas Mathieu dépeint avec force et intensité une véritable fresque chorale, sociale et familiale. Vibrant, passionnant et foisonnant, ce récit, bien que sombre parfois, est illuminé par l'étincelle, la fougue et l'énergie des adolescents. Ce portrait réaliste d'une France désoeuvrée est remarquable de par la justesse des mots et des dialogues, l'intensité et l'émotion qui s'en dégage et l'illusion, cruelle, qui leurre ces adolescents véhéments.
Remarquable !
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critiques presse (9)
LeDevoir
14 janvier 2019
Pour son deuxième roman après Aux animaux la guerre, Nicolas Mathieu, né en 1978, nous livre une fine et implacable analyse sociale sous le couvert d’un roman hyperréaliste à l’écriture puissante.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Bibliobs
08 novembre 2018
Ce grand roman vibre d'une douleur sourde, retranscrit avec justesse et sensibilité le langage de différentes générations et enfonce les vérités comme des poignards. Avant tout, celle de l'agonie du monde ouvrier.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Bibliobs
19 octobre 2018
Dans une Lorraine ravagée par la rouille et le chômage, une poignée d'ados issus de milieux sociaux différents découvre ses premiers émois en même temps que l'envie de fuir. Avec justesse et sensibilité, Nicolas Mathieu dit l'agonie du monde ouvrier et le mensonge de l'égalité des chances.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LaCroix
05 octobre 2018
Le deuxième roman de Nicolas Mathieu, noir et incarné, raconte avec une beauté brute le désenchantement d’une jeunesse des marges.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeFigaro
21 septembre 2018
Une fresque sociale où des adolescents rêvent de jours meilleurs dans une Lorraine désindustrialisée.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Culturebox
18 septembre 2018
Un roman magistral sur des adolescents saisis sur le vif pendant quatre étés avant l'an 2000, dans un bassin sidérurgique privé d'avenir.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeMonde
13 septembre 2018
Le style de Nicolas Mathieu ne se drape dans rien. Il a un drapé. Plutôt un moiré : écrire sur l’adolescence et ses reflets changeants requiert une exigence sans faille. Il faut une sensibilité qui possède du tranchant, un ton capable de dire les emballements du cœur, la rage et la fragilité. Nicolas Mathieu a démontré qu’il maîtrisait tout cela dès son premier livre.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Telerama
24 août 2018
Les étés, Anthony les passe dans sa ville sans avenir, brisée par le chômage. Mais son désir d’ado est plus fort… Un texte juste, une tragédie bouleversante.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
22 août 2018
On prend ici le pari que Nicolas Mathieu va non seulement réussir sa rentrée littéraire (le talent n'a pas besoin de prix, mais bon, si l'auteur pouvait en récolter un...), mais qu'il va également s'installer durablement dans le paysage. L'homme a le souffle large, la phrase romanesque, l'esprit ouvert, le clavier acéré et le nombril partageur.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (639) Voir plus Ajouter une citation
Il ne pouvait admettre cette maladie congénitale du quotidien répliqué.
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Vanessa avait grandi dans une famille aimante et stable, ses parents n'ayant même pas succombé à ces modes si répandues du divorce et de la recomposition. Ils vivaient depuis vingt ans dans le même pavillon qui comptait trois chambres, avec leurs deux enfants, un garçon et une fille. Lui bossait au cadastre, elle était secrétaire à la mairie. Chaque année, ils partaient quinze jours à Saint-Nary. Ils ne cherchaient pas à changer de vie, se satisfaisaient de salaires décents et d'augmentations raisonnables. Ils occupaient leur place, favorables à l'état des choses, modérément scandalisés par les forces qui en abusaient, inquiets des périls télévisés, contents des bons moments que leur offrait la vie. Un jour, un cancer mettrait à l'épreuve cette immobile harmonie. En attendant, on était bien. On faisait du feu l'hiver, et des balades au printemps.
Thomas, leur aîné, faisait Staps. Ses parents ne trouvaient rien à y redire. Ils s'inquiétaient en revanche des ambitions saugrenues de leur fille qui annonçaient des dépenses difficilement soutenables. Il faut dire que depuis l'adolescence, Vanessa se donnait des airs. Sa fac de droit ne faisait que confirmer le sentiment familial : elle se croyait supérieure.
Elle s'était pourtant montrée plutôt frivole jusqu'à quinze-seize ans. Et puis en première, il s'était produit un choc. Elle s'était mise à bosser, soudain horrifiée à l'idée de rester à Heillange pour mener à son tour une vie peinarde et modérément heureuse. Peut-être que l'illumination était venue en cours de socio, ou en faisant les courses au Leclerc avec sa mère. C'est en tout cas à ce moment-là qu'elle avait commencé à prendre ses distances avec Carine Mougel, la frangine du cousin, sa meilleure copine de toujours. Résultat, elle avait fait des étincelles au bac et poursuivait maintenant des études de droit, tout le temps fourrée à la bibliothèque, avec ses manuels soporifiques, ses fiches bristol et trois couleurs de Stabilo, constamment angoissée.
Quand elle rentrait le week-end, elle trouvait ses parents occupés à mener cette vie dont elle ne voulait plus, avec leur bienveillance d'ensemble et ces phrases prémâchées sur à peu près tout. Chacun ses goûts. Quand on veut on peut. Tout le monde peut pas devenir ingénieur. Vanessa les aimait du plus profond, et ressentait un peu de honte et de peine à les voir faire ainsi leur chemin, sans coups d'éclat ni défaillance majeure. Elle ne pouvait pas saisir ce que ça demandait d'opiniâtreté et d'humbles sacrifices, cette existence moyenne, poursuivie sans relâche, à ramener la paie et organiser des vacances, à entretenir la maison et faire le dîner chaque soir, à être présent, attentif tout en laissant à une ado déglinguée la possibilité de gagner progressivement son autonomie.
Vanessa, elle, les voyait petits, larbins, tout le temps crevés, amers, contraignants, mal embouchés, avec leurs TéléStar et leurs jeux de grattage, les chemisettes-cravates du père et sa mère qui, tous les trimestres, refaisait sa couleur et consultait des voyantes tout en considérant que les psys étaient tous des escrocs.
Vanessa voulait fuir ce monde-là. Coûte que coûte. Et son angoisse était à la mesure de ce désir d'échappée belle.

Page 198-199, Actes Sud, 2018.
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Il courut comme ça un moment, mais il ne savait pas où aller et n'avait pas l'intention de rentrer. Il en voulait à la terre entière. Il n'y a pas si longtemps, il lui sufisait de se taper des popcorn devant un bon film pour être content. La vie se justifiait toute seule alors, dans son recommencement même. Il se levait le matin, allait au bahut, il y avait le rythme des cours, les copains, tout s'enchaînait avec une déconcertante facilité, la détresse maximale advenant quand tombait une interro surprise. Et puis maintenant, ça, ce sentiment de boue, cette prison des jours.
S'il se souvenait bien, la première fièvre l'avait pris pendant un cours de bio. La prof articulait des mots extraterrestres, du genre monozygotes ou scissiparité, et tout à coup, il s'était dit qu'il ne pouvait plus. Capucine Meckert au premier rang. La couleur du linoléum. Son voisin de paillasse. L'odeur de soude et de savonnette qu'on respirait dans les labos du dernier étage. Ses ongles rongés. Cette énergie incessante qui lui brûlait la peau. Il ne pouvait plus, c'est tout. Il avait cherché la pendule sur le mur. Il restait encore une bonne demi-heure de cours et cette demi-heure, soudain, avait pris une amplitude océanique. Alors, il avait tout foutu en l'air, trousse, livres, cahiers, même le tabouret.
Dans le bureau du dirlo, ça ne s'était pas si mal passé. M. Villeminot n'ignorait rien du fonctionnement de ces mômes enfermés à longueur d'année, en proie à leurs hormones, cornaqués pour obtenir de vains brevets qui les destinaient à des formations plus ou moins prestigieuses, mais qui toutes agissaient comme autant de laminoirs d'où l'on sortait accompli ou bien brisé, c'est-à-dire disponible. M. Villeminot ne s'offusquait plus de ces coups de sang, des pelles qu'on se roule dans les coins, des consommations clandestines de drogues et d'alcool. Il se contentait d'appliquer le règlement, sans colère, sans indulgence, mécaniquement. Anthony en avait été quitte pour trois jours d'exclusion, cette incartade venant après pas mal d'autres.
Dès lors, la vie avait pris un drôle d'aspect. Il arrivait à Anthony de se lever le matin encore plus crevé que la veille. Il dormait pourtant de plus en plus tard, surtout le week-end, ce qui faisait enrager sa mère. Quand les copains le vannaient, il prenait la mouche, répliquait avec ses poings. Sans cesse, il avait envie de cogner, de se faire mal, de foncer dans les murs. Alors il partait faire du vélo avec son walkman sur les oreilles, en se repassant vingt fois la même chanson triste. Soudain, en regardant Beverly Hills à la télé, de hautes mélancolies le prenaient. Ailleurs, la Californie existait, et là-bas, c'est sûr, des gens menaient des vies qui valaient le coup. Lui, il avait des boutons, des baskets trouées, son oeil foutu. Et ses parents qui régnaient sur sa vie. Bien sûr, il contournait les ordres et défiait constamment leur autorité. Mais tout de même, ces destins acceptables restaient hors de portée. Il n'allait quand même pas finir comme son vieux, bourré la moitié du temps à gueuler devant le JT ou à s'engueuler avec une femme indifférente. Où était la vie, merde ?

Pages 131-132, Actes Sud, 2018.
Lu par Nicolas Mathieu, lors de la rencontre organisée par la librairie L’Usage du Monde (Paris, 17e).
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Elle serait à la retraite dans quinze ans, si le gouvernement ne pondait pas une connerie d'ici là. C'était loin encore. Elle comptait les jours. Le week-end, elle voyait sa sœur. Elle rendait visite des copines. c'était fou le nombre de femmes seules qui voulaient profiter de la vie. Elles faisaient des balades, s'inscrivaient à des voyages organisés. C'est ainsi qu'on voyait des bus parcourir l'Alsace et la Forêt Noire, gorgés de célibataires, de veuves, de bonnes femmes abandonnées. Elles se marraient désormais entre elles, gueuletonnaient au forfait dans des auberges avec poutres apparentes, menu tout compris, fromage et café gourmand. Elles visitaient des châteaux et des villages typiques, organisaient des soirées Karaoké et des cagnottes pour aller aux Baléares. Dans leur vie, les enfants, les bonshommes n'auraient été qu'un épisode. Premières de leur sorte, elles s'offraient une escapade hors des servitudes millénaires. Et ces amazones en pantacourt, modestes, rieuses, avec leurs coquetteries restreintes, leurs cheveux teints, leur cul qu'elles trouvaient trop gros et leur désir de profiter, parce que la vie, au fond, était trop courte, ces filles de prolo, ces gamines grandies en écoutant les yéyés et qui avaient massivement accédé à l'emploi salarié, s'en payaient une bonne tranche après une vie de mouron et de bouts de chandelle. Toutes ou presque avaient connu des grossesses multiples, des époux licenciés, dépressifs, des violents, des machos, des chômeurs, des humiliés compulsifs. À table, au bistrot, au lit, avec leurs têtes d'enterrement, leurs grosses mains, leurs cœurs broyés, ces hommes avaient emmerdé le monde des années durant. Inconsolables depuis que leurs fameuses usines avaient fermé, que les hauts-fourneaux s'étaient tus. Même les gentils, les pères attentionnés, les bons gars, les silencieux, les soumis. Tous ces mecs, ou à peu près, étaient partis par le fond. Les fils aussi, en règle générale, avaient mal tourné, à faire n'importe quoi, et causé bien du souci, avant de trouver une raison de se ranger, une fille bien souvent. Tout ce temps, les femmes avaient tenu, endurantes et malmenées. Et les choses, finalement, avaient repris un cours admissible, après le grand creux de la crise. Encore que la crise, ce n'était plus un moment. C'était une position dans l'ordre des choses. Un destin. Le leur.

Pages 418-419, Actes Sud, 2018.
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L'école faisait office de gare de triage. Certains en sortaient tôt, qu'on destinait à des tâches manuelles, sous-payées, ou peu gratifiantes. Il arrivait certes que l'un d'entre eux finisse plombier millionnaire ou garagiste plein aux as, mais dans l'ensemble, ces sorties de route anticipées ne menaient pas très loin. D'autres allaient jusqu'au bac, 80 % d'une classe d'âge apparemment, et puis se retrouvaient en philo, socio, psycho, éco-gestion. Après un brutal coup de tamis au premier semestre, ils pouvaient espérer de piètres diplômes, qui les promettaient à d'interminables recherches d'emploi, à un concours administratif passé de guerre lasse, à des sorts divers et frustrants, comme prof de ZEP ou chargé de com dans l'administration territoriale. Ils iraient alors grossir cette acrimonieuse catégorie des citoyens suréduqués et sous-employés, qui comprenait tout et ne pouvait rien. Ils seraient déçus, en colère, progressivement émoussés dans leurs ambitions, puis se trouveraient des dérivatifs, comme la constitution d'une cave à vin ou la conversion à une religion orientale.

Pages 325-326, Actes Sud, 2018.
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