Puisque
Flaubert se serait écrié "La Bovary, c'est moi !", pourquoi
Isabelle Flaten ne s'emparerait-elle pas de Charles qui lui, n'est pas Gustave ? Opérant ainsi par la même occasion un malicieux clin d'oeil à toutes les théories du genre et autres polémiques en vogue (un petit trait qui pointait déjà à la lecture de
Triste boomer, son savoureux précédent roman). C'est la liberté suprême de l'écrivain, celle de la littérature tout entière en fait. Quel lecteur n'a pas rêvé de retoucher un peu une histoire, de changer la fin ou d'en savoir plus sur un personnage trop peu développé à son goût ? L'exercice auquel se livre
Isabelle Flaten n'est pas une réécriture mais plutôt un changement d'angle ; là où
Flaubert précipitait son lecteur dans les pensées (torturées) d'Emma, l'autrice entreprend d'éclairer celles de Charles peu épargné par Gustave à l'époque, comme la majeure partie de la joyeuse compagnie provinciale qu'il se faisait un plaisir d'égratigner. Ce n'est pas non plus une entreprise de réhabilitation, juste peut-être un désir né d'une compassion envers cet homme sous influence depuis son plus jeune âge et que l'autrice nous présente comme un individu épris de simplicité, d'harmonie et de tranquillité. Couvé par une mère aigrie par sa propre expérience matrimoniale, marié presque de force à une femme bien plus âgée que lui, poussé à la médecine par des ambitions qui ne sont pas les siennes, sa rencontre avec la jeune Emma lui fait entrevoir une perspective inédite de bonheur et sans doute de maîtrise. La suite, on la connaît si on a lu
Flaubert mais on ne sait rien des sentiments qui traversent cet homme qui peut passer pour faible comme souvent les gentils.
L'écriture d'
Isabelle Flaten, sa façon de manier la langue que j'avais déjà particulièrement appréciée dans
Adelphe réussissent non seulement à faire de cette lecture un vrai plaisir - qui peut donner envie de lire ou relire
Madame Bovary - mais également à chasser toute tentation de comparaison. Il y a du rythme, de la verve, elle tresse habilement les éléments assimilés du roman de
Flaubert notamment les traits de caractère de Charles, cette tendance à s'en remettre au destin, tout en élargissant la focale et en épaississant son personnage. le bonhomme absorbe les chocs, pense parfois à se rebeller et sous la plume empathique de l'autrice entrevoit même la possibilité que l'histoire racontée par
Flaubert n'ait pas tout à voir avec la réalité. Ultime pirouette née du pouvoir suprême de la plume, à condition qu'elle soit de qualité, et c'est bien le cas ici.
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