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Critique de GaletteSaucisse


Salle 104 au collège Popeck.

(C'est pas le vrai nom du collège, mais vu que mon beau-père a été au collège Django Reinhardt, je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas le droit d'avoir un collège au nom sympathique.)

Au collège Popeck, donc, c'est le vendredi juste avant les vacances de la Noël. Monsieur Chabance, comme de juste, a revêtu son merveilleux costume en velours côtelé vert olive.

Monsieur Chabance, je l'ai déjà dit mais je le répète, c'était mon prof' de lettres, le communiste (mais gentil) qui vouait un culte immodéré à Georges Brassens, et qui était le sosie non-officiel de Michel Cardoze.

C'est aussi lui qui avait mis, entre autres, un portrait de Léon Blum et de Jean Jaurès sur son « Mur des Gens qui Redonnent Foi en l'Humanité », aux côtés de Brassens, de la bande d'Hara-Kiri, mais aussi de Zola ou des Philosophes de Lumières.

Voilà pour les présentations.

Et donc, ce jour-là, c'est vendredi. L'excitation est à son comble, surtout que c'est la dernière heure.
- Bon, vu que vous êtes énervés, on va jouer à un jeu.
- Vous faites un Uno avec nous, M'sieur ?
- Répète ça et je te fiche mon Grévisse dans la binette.

Il ne l'a jamais fait en vrai, mais quand il menace, il prend une grosse voix, et même si on sait que c'est pour de faux, on a un peu peur.
- Non, on va faire des devinettes. Les deux rangées à gauche, vous serez l'équipe des Cornemuses, et vous autres l'équipe des Strapontins. Parce que j'ai envie. L'équipe qui gagne aura droit à un cadeau de Noël de ma part. Assortie de mon admiration éternelle. Et du fond de sa tombe, Brassens vous dira que c'est un grand honneur.

Il a une telle éloquence que même ceux pour qui François Mauriac est un joueur de foot s'arrêtent de faire des sarbacanes à partir d'un effaceur et se mettent dans l'ambiance.
- Bon. Je dis une phrase, vous devez deviner de quel bouquin je parle. C'est simple. Attention ça commence : L'auteur a fait scandale.
- Eric Zemmour ?
- C'est froid, Raphaël.
- Alain Soral ?
- C'est glacé, la Galette.
- C'est récent ?
- Avant 14-18.
- Zola ?
- Vous vous réchauffez, les Strapontins.
- Un indice, M'sieur, c'est Noël !

Il se trifouille les moustaches :
- L'auteur a deux points communs avec moi.
- Cavanna ? Communiste et moustachu !
- Bien vu, mais non. Et j'ai dit que c'est avant Quatorze.
- Edgar Poe ?
- Non, je ne suis ni alcoolique, ni marié avec ma cousine de quatorze ans, Emilie.
- Maupassant ?
- Ah ! Vous vous réchauffez, les Cornemuses !
- Flaubert !
- Oui ! Mais quel livre ?

Les Strapontins (car ce sont eux qui ont trouvé) se concertent.
- Euh, Madame de Bovary ?
- Qu'est-ce ? Je ne connais pas ce livre, répond-il avec un grand sourire.
- Madame Bovary, alors ! hurle une cornemuse.
- Bravo ! Mon cher Nicolas, vous avez fait gagné à vos camarades cornemuses le droit de le lire pour les vacances.

Forcément, ça gueule.
- Eh bien, les Strapontins, on est déçus ? Ecoutez, c'est Noël, dans ma grande générosité, je vous donne le droit de le lire aussi. Ils vous attendent chez le libraire d'en face, je les ai commandés par douzaine, et vous en profiterez pour passer le bonjour à Monsieur Fréchon de ma part.

Puis, ouvrant la porte pour nous laisser partir :
- Allez, joyeux Noël...

Bien plus tard, quand j'avais rappelé à Monsieur Chabance cet accès de sadisme dont nous étions coutumiers – mais nous l'adorions quand même –, il s'était marré.
- Après tout, ça vous avait bien plu !

Et comment !

- Mais alors, qu'est-ce que l'histoire, déjà, je me souviens plus trop bien, me demandes-tu tout de go, car tu n'as pas eu la chance d'avoir Monsieur Chabance en troisième.

Je vais laisser à notre cher Jean Rochefort national le soin de te répondre :

« C'est l'histoire d'un p'tit puceau tout mou comme les Chocapic au fond d'leur bol.»

C'est bien résumé, mais finalement, je vais m'en charger moi-même. Merci quand même, Jean.

C'est un zig, médecin de campagne, fraîchement veuf mais c'était une vieille donc c'est pas grave, qui tombe follement amoureux de la fille d'un de ses patients. Donc il demande la fille en mariage, et le père de la fille accepte.

- C'est super, j'adore l'amour.

Ouais, mais leur lune de miel ne dure qu'un temps. Parce qu'en fait, Emma, brave fille qu'elle est, se rend compte que le mariage, c'est moche.

Enfin, c'est moche... Disons qu'elle s'ennuie, quoi.

Attention, Charles, il est sympa, gentil, il lui fait même une petite fille. Mais elle s'emmerde le burnous.

Emma, c'est un peu la ménagère qui fait le repassage en regardant le mariage du Prince William avec Kate Middleton, et soupire : « Ah, qu'est-ce qu'elle est belle, elle en a, de la chance... ».

Emma, elle voudrait pouvoir mener la grande vie. Mais Charles n'est qu'un petit médecin un peu neuneu. Il n'a pas inventé la machine à courber les bananes, comme eût dit Monsieur Chabance.

Alors Emma décide de se dévergonder un peu.

Dans un fiacre, par exemple.

Ouais. C'est vrai qu'en comparaison, ma vie n'est pas bien excitante. Je suis assise dans mon fauteuil en train d'écrire un billet pas franchement folichon, tandis que Madame Bovary se fait « raccommoder la crinoline par des bad-boys en calèche » (c'est pas de moi, c'est de Jean Rochefort).

En parallèle à ses tribulations sexuelles, elle a aussi souscrit à des emprunts pour s'acheter des jolies robes.

Sans l'accord de son bonhomme de mari, hein, ça va de soi.

Sauf que, acculée par les dettes et abandonnée par ses amants, Emma n'a plus d'autres choix que de se suicider.

Oui, c'est hardcore. Au lieu d'aller vendre des marrons grillés Porte de Montreuil, elle préfère manger des granules d'arsenic.

Donc, forcément, elle meurt.

Et comme elle meurt, son mari resté tout seul avec leur fille découvre les relations adultérines de feu son épouse, et il meurt à son tour.

Ne reste que la gamine. Qui s'apprête à vivre une existence pas des plus exaltantes.

- Donc, vu que c'est un classique, écrit par un moustachu de surcroît, tu vas nous dire qu'il est super, hein, la galette ?

Bah, carrément.

Quand nous sommes rentrés de vacances, la première chose que Chabance nous a dit, c'est :
- Alors, le moustachu normand, comment vous l'avez trouvé ?

(Oui, alors hors contexte, ça peut paraître étrange, mais c'était toujours comme ça avec Chabance)

- Si on dit qu'on a bien aimé, vous nous mettez des points bonus ?
- Et puis quoi encore ? Vous trouvez que je ressemble à Mère Teresa ?

C'est vrai que Madame Bovary fait partie de cette légion de livres que tu apprécies seulement à partir du moment où tu as un gus de l'espèce de Monsieur Chabance pour t'expliquer la beauté de la prose flaubertienne.

Les petites blagounettes que glisse Gustave au détour d'une phrase, quand tu as quatorze/quinze ans, c'est difficile de les voir au premier coup d'oeil sans une patte paternelle qui te dit : « Hé, regarde ici, c'est rigolo, tu trouves pas ? ».

Parce que des blagounettes, y en a plein. Enfin, blagounettes, c'est vite dit. Disons que c'est plutôt des piques parfois très mesquines. Notamment Charles Bovary qui en prend pour son grade, quand Gustave dit de lui qu'il a « la conversation plate comme un trottoir de rue. »

Monsieur Chabance, ça le faisait marrer. Moi aussi. Mais moi, je ne suis pas un exemple.

- Donc, qu'est-ce que tu conclus, chère Galette ?

Bah, j'en conclus que Madame Bovary, c'est pas mal. Pas mal du tout. Les désillusions en tout genre, j'aime bien, j'expérimente un peu. Sans pour autant être la copie conforme d'Emma – faire l'amour dans un fiacre ne fait pas particulièrement partie de mes phantasmes –, je m'y suis un peu reconnue dans le côté désenchanté (tout est chaooos).

Si on y ajoute l'humour de Gustave, et son talent, on obtient un bon livre qui traverse légitimement les âges.

Voilà.

Sur cette conclusion pas folichonne, je te laisse, ma maman veut que je mette le couvert.

La bonne journée.
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