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Critique de Erik35


UNE DRAMATIQUE ERREUR JUDICIAIRE

Il était temps...
Il était temps que la vérité éclata enfin ! Et c'est par la grâce de l'écriture d'une classique élégance, due au génial auteur de la rôtisserie de la Reine Pédauque, de Les dieux ont soif ou du désopilant (et féroce) L'île des pingouins - génial mais Ô! combien oublié - que vous allez l'apprendre, vous qui le demandiez tous à corps et à cris (si, si, je vous ai compris !) : Qu'y a-t-il donc dans cette fameuse pièce interdite à la septième femme de la Barbe-Bleue ?

- Six corps froids et assassinés des précédentes épouses de ce terrible monstre, me rétorquerez-vous !

- QUE NENNI ! Cet homme se trouva honteusement assassiné par l'amant de son ultime épouse - une abominable gourgandine, sous ses airs de Sainte Nitouche - ses deux matamores de frères, poussés au crime par une mère dépensière et une soeur, Anne, peu intéressée par le mâle mais qui se serait damnée pour faire le mal autour d'elle !

Voici donc ce qu'il en fut, réellement, de la vie très simple, quoi que confortable, mais au destin absolument tragique de M. Bertrand de Montragoux, ci-devant gentilhomme campagnard, bel homme et fort timide, et surnommé par les paysans de sa contrée, La Barbe-Bleue, en raison du fait qu'elle était bleue, étant très noire, et que si noire qu'on l'aurait crue bleue !

C'est donc ce cher Anatole France, ayant patiemment lu et relu les dires (totalement erronés) de son prédécesseur, le célèbre Charles Perrault, s'est muni d'une documentation ne souffrant aucune espèce de contestation avant que de nous délivrer, enfin, et pour qu'éclate la seule vérité concernant Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue, d'après, nous affirme-t-il, des "documents authentiques".

Nous ne rentrerons pas, icelieu, dans les détails d'une affaire dont vous pourrez vous procurer facilement les rebondissement chez votre libraire habituel. Sachez simplement que la vérité sur cet homme-là fut grandement malmenée, tronquée, et faussée par la famille toute entière de sa dernière jeune mégère, Jeanne de Lespoisse, arguant du seul fait, malheureux et hasardeux, que les six précédentes avaient toutes plus ou moins mystérieusement disparues. Ce qui n'était pas bien vrai, à défaut de s'avérer parfaitement faux.

Quid de la fameuse petite clé ouvrant sur la soi-disante pièce interdite, me direz-vous ? Après minutieuse enquête, M. France nous l'affirme : Il n'y eut jamais aucune interdiction de ce genre par notre infortunée Barbe-Bleue, seulement s'y trouvait un "petit cabinet" dans lequel était reproduit une bien tragique fresque à l'antique, laquelle était peinte de telle manière qu'on y aurait cru, et que l'une des portes de ce cabinet donnait directement, hélas, sur les douves sans eau du château... Comprenez-donc bien les risques presque assurés d'accident funeste, surtout auprès d'une faible et sensible représentante du "beau sexe" qui se serait trouvée dûment et fatalement impressionnée par l'horrifique peinture.

En quelques dizaines de pages bien tournées, pleine d'humour et d'ironie, truffées de jeux de mots et de calembours forcément douteux, Anatole France revisite intégralement un des contes les plus connus - l'un des plus sanguinolent aussi - de Charles Perrault. Tout en faisant preuve d'une irrévérence totale, cette nouvelle est, tout autant, une gracieuse révérence au beau français de cette époque, dont il imite parfois les tournures, sans jamais se rendre illisible, et de l'imaginaire parfois terrible de cette lointaine époque.

Cependant, l'inversion imaginée dans ce récit en fait une bouffonnerie digne des meilleures pièces de Georges Feydeau ou d'Eugène Labiche. D'une leçon épouvantable sur les malheurs que peuvent engendrer une curiosité mal placée et, sous-jacente, l'enfer vécu par les femmes sous la coupe de maris violents, France en fait une histoire de cocuages multiples et désopilants où l'appas du gain le cède au seul plaisir de tromper et de rendre malheureux les amoureux transis et trop candides.

Bien que l'ouvrage s'achève par une Cendrillon, elle-aussi totalement revisitée, sincèrement moins concluante que cette époustouflante Barbe-Bleue, ce petit mignon ouvrage proposé par les éditions La Part Commune donne sérieusement envie (le rire est une affaire sérieuse, c'est bien connu) de poursuivre avec le reste des contes usurpés pour la plus grande joie du lecteur par ce cher vieil (et par trop méconnu) Anatole France !

A bon entendeur...
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